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h. spencer. — les institutions politiques.

cette lutte universelle et qui s’y adapte n’est pas nécessairement condamnée à s’employer à jamais à des fins pareilles : la force et l’intelligence résultant de cette organisation sont de nature à servir à des emplois bien différents. La structure héréditaire qui la constitue n’est pas seulement bonne pour l’attaque ou la défense, elle est apte à d’autres fins diverses, lesquelles peuvent devenir pour l’être ainsi modifié les fins uniques de sa destinée. Les myriades d’années de guerre durant lesquelles se sont développées les forces de tous les types inférieurs d’êtres vivants ont légué à l’être du type supérieur des forces pour des fins sans nombre outre celles de tuer et d’éviter d’être tué. Ses dents et ses ongles servent peu dans le combat ; il n’impose pas à son esprit comme occupation ordinaire l’obligation de combiner des moyens de détruire d’autres êtres vivants, ou de se préserver du mal que ceux-ci pourraient lui faire.

De même pour les organismes sociaux. Nous devons reconnaître que la lutte pour l’existence entre les sociétés a été l’instrument de leur évolution. Ni la consolidation et la reconsolidation de petits groupes sociaux en un groupe plus grand, ni l’organisation de groupes composés et doublement composés, ni le développement concomitant de tous les facteurs d’une existence plus large et plus élevée que produit la civilisation, n’auraient été possibles sans les guerres de tribu à tribu et plus tard de nation à nation. Ce qui est le point de départ de la coopération sociale, c’est l’action combinée pour l’attaque et la défense ; c’est de ce genre de coopération que tous les autres proviennent. Quoiqu’il soit impossible de légitimer les horreurs causées par cet antagonisme universel qui, débutant par les guerres chroniques de petites troupes, il y a dix mille ans, a fini par les grandes batailles de grandes nations, il faut reconnaître que sans ces horreurs le monde ne serait encore habité que par des hommes de type faible, cherchant un abri dans les cavernes et vivant d’une nourriture grossière.

Remarquons cependant que la lutte intersociale pour l’existence, qui a été une condition indispensable de l’évolution des sociétés, ne jouera pas nécessairement dans l’avenir un rôle semblable à celui qu’elle a joué dans le passé. Nous reconnaissons que nous sommes redevables à la guerre de la formation des grandes sociétés et du développement de leurs appareils ; mais nous pouvons conclure que les forces acquises, applicables à d’autres fonctions sociales, perdront leur rôle primitif. Si nous accordons que, sans ces luttes sanglantes continuelles, les sociétés civilisées n’auraient pu se former, et que cet état devait nécessairement avoir pour corrélatif une forme appropriée du caractère de l’homme, autant de férocité que