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prononcé ou écrit pour la première fois, il serait impossible d’apprendre à parler ou à écrire.

L’existence des résidus moteurs admise, nous pouvons comprendre la nature de l’amnésie des signes.

Notre activité intellectuelle consiste, comme on le sait, en une série d’états de conscience associés suivant certains rapports. Chacun des termes de cette série paraît simple à la conscience ; il ne l’est pas en réalité. Quand nous parlons ou quand nous pensons avec un peu de netteté, tous les termes de la série forment des couples, composés de l’idée et de son expression. À l’état normal, la fusion entre ces deux éléments est si complète qu’ils ne font qu’un ; mais la maladie prouve qu’ils peuvent être dissociés. Bien plus, l’expression « couple » n’est pas suffisante. Elle n’est exacte que pour la partie du genre humain qui ne sait pas écrire. Si je pense à une maison, outre la représentation mentale qui est l’état de conscience proprement dit outre le signe vocal qui traduit cette idée et ne semble faire qu’un avec elle, il existe un élément graphique presque aussi intimement fondu avec l’idée et qui même devient prédominant, lorsque j’écris. Ce n’est pas tout : autour du signe vocal maison se groupent par une association moins intime les signes vocaux d’autres langues que je connais (domus, house, Haus, casa, etc.). Autour du signe graphique maison se groupent les signes graphiques de ces mêmes langues. On voit donc que dans un esprit adulte, chaque état de conscience clair n’est pas une unité simple, mais une unité complexe, un groupe. La représentation mentale, la pensée n’en est à proprement parler que le noyau ; autour d’elle se groupent des signes plus ou moins nombreux qui la déterminent.

Si ceci est bien compris, le mécanisme de l’amnésie des signes devient plus clair. C’est un état pathologique dans lequel, l’idée restant intacte ou à peu près, une partie ou la totalité des signes qui la traduisent est oubliée temporairement ou pour toujours. Cette proposition générale a besoin d’être complétée par une étude plus détaillée.

Est-il vrai que, chez les aphasiques, l’idée subsiste, son expression vocale et graphique ayant disparu ?

Je ferai remarquer que je n’ai pas à examiner si ici l’on peut penser sans signes. La question posée est toute différente. L’aphasique a eu longtemps l’usage des signes : l’idée disparaît-elle chez lui avec la possibilité de la traduire’? Les faits répondent négativement. Bien qu’on soit d’accord pour reconnaître que l’aphasie, surtout quand elle est de longue durée et grave, s’accompagne toujours d’un certain