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th. ribot. — les désordres partiels de la mémoire.

beaucoup plus nombreuses que pour le cas d’une idée concrète. » (P. 164). Traduite en langage psychologique, cette dernière phrase équivaut à ce que nous avons dit plus haut : que la stabilité du signe est en raison de son organisation, c’est-à-dire du nombre des expériences répétées et enregistrées. La science du langage nous fournit aussi des indications précieuses pour notre sujet. Au risque de fatiguer le lecteur par un excès de preuves, je me garderai de les négliger. L’évolution du langage s’est faite, comme on devait s’y attendre, dans un ordre inverse à celui de la dissolution chez les aphasiques.

Avant d’invoquer en faveur de notre loi le développement historique des langues, il semblerait naturel d’interroger le développement individuel. Mais cela est impossible. Quand nous apprenons à parler, notre langue nous est imposée. Bien que l’enfant, comme l’a très bien dit M. Taine[1], « apprenne la langue déjà faite comme un vrai musicien apprend le contre-point, et un vrai poète la prosodie, c’est-à-dire comme un génie original, » en réalité, il ne la crée pas. Il faut donc nous en tenir à l’évolution historique.

C’est un point bien établi que les langues indo-européennes sont issues d’un certain nombre de racines et que ces racines étaient de deux sortes : verbales ou prédicatives, pronominales ou démonstratives. Les premières, qui contenaient les verbes, les adjectifs et les substantifs, « sont, dit Whitney, des signes indicatifs d’actes ou de qualités. » Les secondes, d’où sont issus le pronom et l’adverbe (la préposition et la conjonction sont de formation secondaire), sont peu nombreuses et indiquaient des rapports de position. La forme primitive du signe est donc l’affirmation des qualités. Puis le verbe et l’adjectif se séparent. « Les noms sont tirés des verbes par l’intermédiaire des participes qui ne sont que des adjectifs dont la dérivation verbale n’est pas encore effacée[2]. » Quant à la transformation des noms communs en noms propres, elle n’est pas douteuse.

L’évolution naturelle du langage n’explique-t-elle pas les stades de sa dissolution chez l’aphasique, dans la mesure où une création spontanée et la dissolution d’une langue artificiellement apprise sont comparables ?

2o En exposant sous sa forme générale la loi de régression de la mémoire, nous avons vu que la mémoire des sentiments s’efface plus tard que celle des idées. La logique nous conduit à conclure que dans

  1. Revue philosophique, t. I, p. 13.
  2. Baudry, o. c, 16. D’après l’étymologie, le cheval c’est « le rapide », l’ours, « le brillant ». etc., etc. Pour plus de détails, voir les ouvrages de M. Müller et Whitney, 166.