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est la constitution d’une algèbre, traitée par principes généraux, et non, comme celle de Viète, par cas particuliers ?

D’ailleurs les contemporains de Descartes ne se sont pas mépris sur sa véritable intention. Ainsi le P. Ciermans faisait remarquer « qu’il aurait été plus à propos de lui faire porter — à l’ouvrage mathématique de 1637 — le nom de Mathématiques pures que celui de Géométrie, parce que les choses que contient ce traité n’appartiennent pas davantage à la géométrie qu’à l’arithmétique et aux autres parties des mathématiques[1]. » Les commentateurs de sa Géométrie la présentent aussi comme un traité des grandeurs en général, en un mot, comme une algèbre. Que dit, par exemple, François Schooten, dans ses Principia matheseos universalis, qu’il donne comme une introduction à la méthode géométrique de Descartes ? Il commence par poser en principe « que, dans la constitution universelle des sciences mathématiques, bien qu’elles aient des objets divers, il faut considérer seulement les rapports ou proportions qu’on trouve en ces objets. On doit considérer ces rapports et proportions à part et les désigner par les lettres de l’alphabet, qui sont les signes les plus simples et les plus connus de tous, car il n’y a aucune raison pour que par les lettres a, b, c on entende plutôt les grandeurs a, b, c que les poids et les nombres désignés par les mêmes caractères[2]. » Et c’est par une théorie algébrique des opérations que peuvent subir les quantités simples, complexes, fractionnaires et sourdes, qu’il s’efforce d’initier son lecteur à la théorie de la réduction des équations, c’est-à-dire à la géométrie de Descartes. Si Schooten peut sembler un témoin suspect, pour la raison que Descartes refusa de revoir la traduction latine qu’il avait faite de la Géométrie, on ne récusera pas du moins le témoignage de Florimond de Beaune, l’auteur des Notæ breves sur la Géométrie de Descartes, dont Descartes estimait l’intelligence mathématique au point de dire qu’en ces notes « il ne trouvait rien qui ne fût entièrement selon son intention ». C’est par une définition de l’algèbre que de Beaune éclaire l’entrée de la géométrie de Descartes ; et, à ses yeux, cette science nouvelle comprend à la fois l’algèbre numérique, l’analyse géométrique des anciens, et tous les rapports et toutes les proportions en général : « Algebra speciosa, hoc est quæ exercetur per species rerum, quæ litteris alphabeti, aliisve similibus designantur, est scientia investigandis inveniendisque theorematis et problematis

  1. Ed. Cousin, t. VII, p. 182.
  2. Franscisci a Schooten, Principia matheseos universalis, seu introductio ad Geometriœ methodum Renati des Cartes, éd. ab Er. Bartholino. Lugd. Batav. 1651, p. 1 et 2.