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sensibilité, nous n’hésiterons pas à dire, et l’art de l’éducation doit en faire son profit, que les excentricités des enfants ont souvent un principe morbide. J. Crichton Browne a recueilli des faits de kleptomanie, de pyromanie, de dipsomanie, de pantophobie chez de jeunes enfants[1]. La méchanceté acquiert souvent de telles proportions dans ces débiles natures qu’elle doit être considérée plutôt comme une maladie que comme un vice. Browne raconte l’histoire d’un jeune gentilhomme anglais qui était animé de tels instincts de cruauté que pour l’occuper son père dut le renvoyer à la campagne et lui donner les fonctions de boucher chez ses fermiers. Son plus grand plaisir était de tuer, en les martyrisant, des poules et des lièvres. Lorsque les ouvriers dressaient des échafaudages pour travailler à leurs constructions, l’enfant s’ingéniait de toutes les manières possibles pour les faire tomber.

On voudrait croire tout d’abord que la folie suicide ne fait pas de victimes parmi les enfants. L’idée de la mort volontaire et le caractère de l’enfance semblent incompatibles. Comment est-il possible que l’être à peine créé aspire à se détruire, à se renier lui-même, que l’instinct de la conservation ne sorte pas victorieux des crises auxquelles est soumise la sensibilité enfantine ? Et cependant les statistiques prouvent que le suicide de l’enfant, quoique rare, n’est pas, tant s’en faut, un fait exceptionnel. C’est que les douleurs puériles, que notre indifférence dédaigne trop souvent, peuvent atteindre un degré de vivacité inouï. Nous ne savons pas comprendre les enfants ; nous jugeons d’eux d’après nous-mêmes. Nous ne nous rendons pas compte que des causes futiles peuvent développer dans ces cœurs naïfs des émotions profondes qui égalent nos plus grandes douleurs. Ce qui est une égratignure pour l’homme fait devient une profonde blessure pour l’enfant. Nous ne nous imaginons pas tout ce qu’il peut y avoir de colère ou de frayeur dans les pleurs d’un enfant, tout ce que son attitude muette recèle parfois d’angoisse et de désespoir. Comme le disait déjà Malebranche, « une pomme et des dragées font dans le cerveau d’un enfant des impressions aussi profondes que les charges et les grandeurs en font dans celui d’un homme de quarante ans. » Il en est de l’âme des enfants comme de l’esprit d’un homme endormi, où les plus petites sensations se transforment et acquièrent d’énormes proportions. Des gronderies trop dures pour une faute légère, une déception subite pour un plaisir promis ou pour une récompense attendue, des impressions trop vives devant un spectacle qui nous laisserait froids, la cause la plus frivole enfin peut troubler assez

  1. Voyez The Journal of mental science, avril 1860.