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g. compayré. — la folie chez l’enfant

profondément l’enfant pour le déterminer à cette résolution extrême du suicide qui contient toujours quelque chose de morbide.

On consultera avec fruit sur ce sujet l’étude publiée en 1855 dans les Annales médico-psychologiques par le Dr Durand-Fardel[1]. L’auteur y rapporte plusieurs exemples de suicides d’enfant. « Nous avons réuni nous-même, dit-il, vingt-six exemples d’enfants suicidés ayant de cinq à quatorze ans. 1 avait 5 ans ; 2, 9 ans ; 2, 10 ans ; 5, 11 ans ; 7, 12 ans ; 7, 13 ans, 2, 14 ans. » Les Comptes généraux de la justice criminelle, de 1835 à 1844, établissent de leur côté que, sur 25, 760 suicides observés en France, 129 ont eu lieu avant l’âge de seize ans. La progression fatale qu’on a constatée dans le nombre des suicides, et qui paraît être la loi des sociétés vieillies et des civilisations avancées, est vraie pour tous les âges. À Berlin, de 1788 à 1797, on ne comptait qu’un seul suicide d’enfant ; de 1798 à 1805, la statistique en signale trois ; de 1812 à 1821, le chiffre s’est élevé à trente et un.

L’étude des causes du suicide est en général navrante : chez les enfants, elle est particulièrement instructive et curieuse. Rien de plus futile parfois que les motifs qui agissent sur les faibles cervelles de ces suicidés de huit ou dix ans. Un garçon se tue de chagrin, vers la neuvième année, parce qu’il a perdu un oiseau favori ; un autre, vers le même âge, parce qu’il a été le douzième dans sa classe. Dans d’autres cas, les causes sont plus graves : le froissement des affûtions filiales, un précoce sentiment de l’honneur déterminent la mort volontaire. Des enfants se sont tués parce qu’ils avaient perdu leur mère, parce qu’on les avait appelés voleurs. Les mauvais traitements, les réprimandes sévères, les punitions agissent plus souvent encore et dégoûtent l’enfant de la vie. Dans certaines circonstances, la cause du suicide reste mystérieuse, et c’est alors surtout que la résolution suprême de l’enfant peut être attribuée à une impulsion morbide et folle, plutôt qu’à une inspiration réfléchie. Esquirol cite un enfant qui, avant de se tuer, avait écrit ces paroles bizarres, évidemment empreintes d’exaltation maladive : « Je lègue mon âme à Rousseau et mon corps à la terre ! » Un autre attente à ses jours parce qu’il n’a pas assez d’air pour respirer à son aise.

Une observation intéressante est celle des suicides qui n’ont été accomplis que dans l’âge mûr, après avoir été tentés à plusieurs reprises dans la première enfance. Esquirol mentionne une femme qui avait essayé de se noyer à neuf ans et qui se jeta de nouveau

  1. Annales médico-psychologiques, 1855, I, p. 61-73, Etude sur le suicide chez les enfants, par le Dr Max. Durand-Fardel.