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si les institutions existantes s’étendent, ou que de nouvelles apparaissent ; si, pour diriger les fonctions sociales plus dans le détail, on crée un nouvel état-major d’employés, il en résulte du même coup un accroissement de l’agrégat des gens composant la partie régulative, et un décroissement correspondant dans l’agrégat des unités qui composent la partie régie. De diverses manières, tous ceux qui composent l’organisation gouvernante et administrante s’unissent entre eux et se séparent des autres. Quelles que soient leurs fonctions particulières, ils entretiennent avec les centres gouvernants majeurs et mineurs de leur département administratif des rapports semblables, et par ces centres avec le centre gouvernant suprême ; ils sont habitués à des sentiments et à des idées analogues sur le système d’institutions auquel ils sont incorporés. Tirant leur subsistance du revenu national, ils inclinent vers des idées et des sentiments analogues sur la façon de lever ce revenu. Quelque jalousie que les divers corps de fonctionnaires puissent entretenir les uns à l’égard des autres, la sympathie qui les unit tous la domine, lorsqu’un de ces corps voit son existence ou ses privilèges menacés, puisque l’intervention qui le menace peut s’étendre aux autres. En outre, ils sont tous dans le même rapport avec le reste de la société, dont ils règlent souverainement de quelque manière les actions ; aussi sont-ils conduits à professer des idées analogues sur la nécessité de cette direction et l’avantage de s’y soumettre. Peu importent les opinions politiques que leurs membres aient pu avoir, ils ne sauraient entrer dans les emplois publics sans glisser vers des opinions en accord avec leurs fonctions. En sorte que, par un effet inévitable, tout développement nouveau de la machine gouvernementale ou administrative, en un mot de l’appareil directeur des forces sociales, augmente les obstacles à des modifications futures, à la fois d’une manière positive, en fortifiant ce qui doit être fortifié, et d’une manière négative, en affaiblissant le reste, jusqu’à ce qu’à la fin la rigidité devienne si grande que tout changement soit impossible et que le type demeure fixé.

Si chaque développement nouveau de l’organisation régulative augmente les obstacles au changement, ce n’est pas seulement par l’accroissement relatif du pouvoir des hommes qui, chargés du rôle de régulateurs, maintiennent l’ordre établi, et par la diminution du pouvoir des hommes qui, en tant que régis, n’ont pas les mêmes intérêts directs à le conserver. En effet, les idées et les sentiments de la société dans son ensemble s’adaptent progressivement au régime avec lequel les hommes se sont familiarisés dès l’enfance au point qu’ils le considèrent comme naturel et comme le seul pos-