Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, X.djvu/655

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
645
delbœuf. — sur la fusion des sensations semblables.

par exemple la forme d’un œuf, et si l’intérieur correspondait à l’extérieur, les sensations de contact suscitées sur tous les points d’un même parallèle auraient, toutes choses égales, le même caractère. Telle est l’origine de la variation.

On objectera peut-être, avec quelque apparence de raison, que c’est en théorie seulement, que le contact intéresse la périphérie dans son intégrité. Mais si l’on réfléchit qu’une piqûre peut faire crisper tout le corps, qu’un attouchement léger, du moment qu’il est senti, affecte l’individu dans son unité, qu’il est tel enfin de ces agents dont l’action, non perceptible par les sens, modifie profondément l’organisme, on doit en conclure que toute excitation se propage et retentit dans l’être entier.

Il s’agit maintenant de savoir comment nous arrivons à distinguer les sensations primitivement indiscernables.

C’est un fait universel qu’une différence doit, pour nous frapper, atteindre un certain minimum. Objectivement, ce minimum est très variable ; mais, subjectivement, je crois qu’il est renfermé dans des limites assez rapprochées. Ceci demande explication. Nous ne dirigeons notre faculté de discernement que sur les qualités extérieures dont la connaissance importe à notre conservation ou — pour parler d’une manière plus générale et tenir compte des habitudes de la civilisation — nous présente un intérêt quelconque. De là vient que tous les animaux reconnaissent de si loin leur proie ou leur ennemi. Les araignées s’y prennent avec les guêpes autrement qu’avec les mouches ordinaires. On connaît l’acuité des sens des sauvages. Et un entomologiste pourra dire du premier coup à quelle espèce appartient tel insecte que son éloignement ou sa petitesse rend à peine visible. On peut donc affirmer que toute différence finie — et, au fond, il n’y en a pas d’autres — est théoriquement discernable, en ce sens que, du moment qu’il y aura pour nous intérêt à la saisir, nous parviendrons à le faire. L’attention, fille de l’intérêt, est une espèce de microscope ou de multiplicateur qui a pour effet d’agrandir ou de multiplier les différences légères. Un citadin ne saura pas reconnaître le seigle d’avec le froment. Mais qu’un paysan qui fasse remarquer que la paille du seigle est plus longue et plus blanche et l’épi plus grêle, il ne s’y trompera plus. En détaillant les différences, il les a, pour ainsi dire, multipliées. Les naturalistes classificateurs ne font pas autre chose. Il y aurait long à dire sur ce sujet ; mais je tiens à être bref, et je passe sans transition au cas de la distinction entre deux sensations de tact à peu près identiques.

On sait que, quand on refait les expériences de Weber, l’avant-bras, dont ordinairement la sensibilité pour les distances est obtuse, acquiert rapidement à cet égard une assez grande habileté relative. M. Binet, après avoir rappelé cette observation, ajoute : « C’est peut-être à l’effet de l’exercice qu’il faut rapporter l’inégalité de finesse qu’on observe sur les régions de notre peau. Ce qu’il y a de certain, c’est que les parties qui se distinguent sous ce rapport sont celles qui, par