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delbœuf. — le sommeil et les rêves

ferais incidemment dans la théorie du sommeil et des rêves. Nous voilà édifiés sur la formation du noyau central. Si nous ne pouvons remonter jusqu’à son origine, ni en prédire la fin, nous pouvons du moins par la réflexion en refaire le passé et en deviner l’avenir.

Revenons à la nourriture, et essayons de caractériser d’une manière plus précise le genre de transformation que subissent les forces qu’elle introduit dans l’organisme. L’organisme, en agissant sur les choses qui l’entourent, dépense une certaine énergie, énergie qui se manifeste au dehors comme chaleur et surtout comme mouvement. Les forces qui sont en lui s’épuisent et passent ailleurs. Tour conserver son intégrité il doit les réparer ; et elles lui sont restituées par les aliments, qui, au fond, sont, entre autres choses, de la chaleur et du mouvement condensés. Mais, outre ce travail extérieur, visible à tous il se fait en lui un travail tout intérieur dont lui seul a connaissance. Ce travail, bien qu’il puisse être aussi accompagné d’une dépense de forces, aboutit à un résultat tout différent, à une accumulation de forces. La mémoire et l’expérience, la défiance ou la familiarité et le ruse ou le courage qui en sont les suites, la science, le génie des découvertes et le perfectionnement de l’humanité, voilà, dans des ordres d’idées différents, des exemples saisissants d’accumulation de forces. L’emploi métaphorique du mot apprendre — qui, étymologiquement, signifie s’annexer en prenant — est fondé sur le sentiment instinctif et profond de la réalité. Savoir, c’est avoir ap-pris.

Ces forces accumulées, en tant que servant à la manifestation de la sensibilité, reçoivent le nom spécial de psychiques. L’alimentation sert donc à deux fins : elle répare des forces physiques, elle accumule des forces psychiques. Les forces physiques sont-elles d’une autre nature que les forces psychiques, ou sont-elles susceptibles de se transformer en forces psychiques ? Grosse question, que je n’ai heureusement pas besoin d’aborder. Un mot seulement. Voici un grave magistrat qui, assis mollement dans son fauteuil, suit avec toute l’attention possible les débats d’une grave affaire, écoute les dépositions des témoins, les plaidoiries des avocats, et de fatigue finit par s’endormir du sommeil des juges. Ce qui lui arrive est la suite d’un travail intellectuel prolongé, ou, pour employer mon langage, de la fixation de sa sensibilité. Le même, à l’époque des vacances, part pour la chasse de bon matin, fusil sur l’épaule, carnassière au dos, poursuit lièvres et perdreaux à travers la plaine, puis harassé se laisse tomber au pied d’un arbre et s’endort. Pour le coup, ce sont bien des forces physiques qu’il a usées. Toutefois ne vous semble-t-il pas que les forces qui poursuivent le gibier sont les mêmes qui, au tribunal, prononcent des sentences ?