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espinas. — le sens de la couleur

tion conserve les attributs avantageux ; elle supprime les attributs nuisibles ; son pouvoir ne va pas au delà. Darwin lui-même insiste (Origine des espèces, trad. Moulinié, p. 87 et 89) sur la nécessité de l’apparition préalable des variations et sur faction exclusivement conservatrice de la sélection naturelle. Il ne suffira donc pas de signaler l’utilité d’une modification chromatique pour l’expliquer. Son origine devra être recherchée. Et il ne suffira pas non plus de signaler la cause qui l’a produite ; il faudra établir que l’action de cette cause a été permanente ; sans quoi la sélection n’eût pu en accumuler les effets. Le hasard ne rend compte de rien. Par exemple, M. Wallace a observé que les oiseaux dont les nids sont couverts ont pu sans inconvénient devenir de plus en plus brillants, tandis que ceux dont les nids ne présentent pas de dôme ont dû être ramenés par la sélection à des couleurs plus ternes. Mais il restait à montrer (et c’est ce que le même auteur a tenté dans son récent ouvrage) d’où est venue la couleur des oiseaux que leur nid protège, car enfin la survivance des plus aptes est une cause négative, qu’on pourrait aussi bien appeler la suppression des mal doués. Une cause positive est même requise pour expliquer les couleurs ternes, qui sont des couleurs encore ; des animaux à qui elles ne servent pas de protection, les rapaces par exemple, les ont revêtues, et ceux-là mêmes qui s’en servent pour se dissimuler les doivent à quelque cause effective. Si nos alouettes, nos cailles et nos perdrix (pour ne parler que des cas les plus connus) n’avaient pas su rencontrer cette couleur moyenne entre le gris et le jaune qui les dissimule si bien, la sélection aurait exercé son action sur ces espèces en les supprimant ; il n’était pas nécessaire qu’elles survécussent. Si elles subsistent encore, ou plutôt si elles se sont produites, c’est grâce à la cause qui a présenté en quelque sorte à la sélection une modification utile à conserver et n’a pas cessé de la lui présenter jusqu’à ce qu’elle l’ait fixée en écartant ceux qui ne la possédaient pas. La tendance des téguments de toutes sortes à revêtir une couleur est indiscutable ; mais, outre que cette tendance est elle-même un objet d’études, le plus intéressant est de savoir pourquoi elle s’est spécialisée à la production d’un pigment plutôt que d’un autre ; car la suppression des mal doués pourrait entraîner, comme dans le cas de beaucoup d’animaux pélagiques, la suppression de la tendance même, et l’effacement de toute coloration. Quand on ne donne pas d’autre raison pour expliquer la couleur d’un animal que l’intérêt qu’il y avait pour lui à se dissimuler, on tend sans le savoir à conclure qu’il est devenu transparent.

Le livre de M. Allen est un effort vigoureux pour spécifier les