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causes de la coloration dans le règne animal. Il imite le moins possible ceux qui font, si j’ose dire, travailler la sélection à vide et arbitrairement. S’il s’agit de montrer comment les insectes ont développé la coloration des fleurs et les fleurs mêmes, il prend soin d’établir qu’une tendance à la production de parties colorées préexistait dans la plante, et il s’efforce de donner de cette tendance une explication fondée sur la chimie. Faut-il exposer inversement comment les fleurs ont réagi sur les insectes en développant en eux le goût de la couleur, l’auteur signale chez les insectes un goût primitif pour la lumière, sur lequel leur commerce avec les fleurs a pu exercer une différenciation progressive. C’est là une méthode excellente. Malheureusement, la tâche qu’il promet en quelque sorte d’accomplir était au— dessus des forces d’un seul. Il blâme M. Wallace de ne pas avoir donné de raisons suffisantes pour expliquer l’apparition de tel pigment plutôt que de tel autre (p. 189). Mais lui-même, qu’a-t-il fait autre chose que de rendre vraisemblable la formation je ne dis pas de couleurs quelconques, mais de couleurs brillantes en général, sans pouvoir dire pourquoi telle couleur brillante plutôt que telle autre apparaît dans tel ou tel cas particulier ? Or toutes les couleurs convenablement groupées sont susceptibles d’éclat. Il y a tout une catégorie d’oiseaux bleus et noirs, dont l’irène vierge est le type, qui frappent vivement l’œil par l’intensité de leurs couleurs, bien que le bleu soit regardé comme une couleur sombre. Pour que la théorie proposée rendît à l’auteur les services qu’il en attend, il faudrait que la nature de l’alimentation lui permit de déterminer à priori non pas l’éclat de la coloration en général, mais la couleur même de l’animal. Or le plus souvent il n’y a aucun rapport entre la couleur des fleurs visitées et la couleur des insectes d’une part, entre la couleur des fruits préférés et la couleur des oiseaux de l’autre. Ce défaut de coïncidence est même quelque chose de plus grave qu’une simple lacune de la théorie ; il compromet la théorie tout entière ; car, si ce sont les fleurs et les fruits qui différencient le goût général qu’ont les êtres vivants pour la lumière, il semble naturel que cette différenciation s’opère dans le sens même de la couleur propre à la fleur ou au fruit qui en est l’occasion. Du moins, M. Allen ne donne aucune raison pour infirmer une inférence aussi vraisemblable. La recherche de fruits rouges ne peut inspirer à un oiseau le goût du jaune, ni le goût du bleu. Et cependant nous voyons que le loriot, si friand de cerises, est d’un beau jaune, et que le chardonneret, qui se nourrit aux dépens des chardons gris, a des parties d’un rouge vif. Nous ne trouvons pas encore là les éléments dune spécification des causes de la couleur.