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espinas. — le sens de la couleur

La vérification de l’hypothèse se trouve dans la différence même de couleur entre les diverses semences des végétaux. Celles qui sont confiées au vent, celles qui sont lancées au loin par un mécanisme spécial (par exemple celles de notre balsamine), celles qui s’accrochent aux flancs des animaux à l’insu de ceux-ci, celles enfin qui sont protégées par des noix difficiles à briser, sont toutes plus ou moins obscures. Celles-là seules qui requièrent pour leur dissémination l’intervention volontaire des oiseaux ou des mammifères sont revêtues d’enveloppes pulpeuses et plus ou moins brillantes. Ce sont des remarques que M. Wallace avait déjà faites.

Il est donc très vraisemblable que ce sont les oiseaux et les mammifères qui ont enrichi la nature végétale de ce groupe d’organes considérable et qui forment l’une des plus riches catégories d’objets colorés, après les fleurs automophiles. Voyons quelle a été la réaction des fleurs et des fruits ainsi parés sur les animaux qui leur avaient donné leurs couleurs.

II. M. Lubbock a disposé, pour déterminer l’aptitude des insectes à discerner les couleurs, l’expérience suivante. Il plaça des morceaux de verre chargés de miel sur des papiers de différentes couleurs et posa une abeille sur l’un d’eux, soit le verre orange. Vingt fois de suite l’abeille revint au même verre, ne visitant les autres qu’une fois ou deux. Et ainsi de suite pour les autres couleurs. On aurait pu croire que c’était la position du verre qui la déterminait, non la couleur du papier ; par de fréquents changements de place, l’expérimentateur s’assura qu’il n’en était rien. Les hésitations des insectes quand ils se trompaient rendaient leur mobile très visible. Des résultats semblables furent obtenus avec des guêpes. — MM. Wallace et Darwin et plusieurs autres naturalistes ont fait connaître le singulier phénomène de l’imitation (mimicry) : il est très fréquent chez les insectes. Beaucoup de ces travestissements s’adressent aux yeux des oiseaux ou des reptiles, mais un assez grand nombre encore ont pour but de tromper les yeux d’autres insectes. Des lézards prennent dans le même but la couleur du feuillage. Nous ne pouvons ici rapporter les exemples. — Chaque espèce a ses plantes préférées ; les insectes reconnaissent leur fleur de prédilection à une grande distance et s’y précipitent directement, sans se tromper jamais. Les fleurs nocturnes entomophiles n’ont pas d’éclat ; ce sont de pures taches blanchâtres dans l’obscurité ; les diurnes au contraire sont richement nuancées : ces différences ne s’expliqueraient point si les insectes ne discernaient pas les couleurs. Il en est de même de la différence de l’un et de l’autre sexe pour les indi-