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p. tannery. — thalès et ses emprunts a l’égypte.

d’observer au bout de combien de temps le phénomène se reproduit exactement au même point du ciel ; il est clair qu’on aura ainsi obtenu une période aux mêmes dates de laquelle reviendront régulièrement les éclipses, avec la même grandeur et la même durée.

C’est sans doute ainsi que les Chaldéens sont arrivés à connaître la période de 223 lunaisons dont l’exactitude est très satisfaisante[1].

On n’a pas de preuve directe que les Égyptiens se servissent également de cette période ; mais, si l’on en croit Diodore de Sicile[2], les prêtres de Thèbes prédisaient les éclipses tout aussi bien que les Chaldéens ; or il leur fallait posséder, pour cela, soit la période du Saros, soit des procédés graphiques[3].

Dans cette dernière hypothèse, on serait conduit à supposer pour leurs observations une exactitude improbable et l’emploi d’instruments dont l’invention paraît due aux Grecs. D’autre part, il n’est guère douteux que la période des 223 lunaisons ne fût connue d’Eudoxe de Cnide, et il semble bien l’avoir rapportée d’Égypte[4].

Il est d’ailleurs parfaitement possible que, dès avant Thalès, les prêtres de ce dernier pays aient emprunté aux Chaldéens les notions nécessaires pour la prédiction des éclipses. L’astrologie orientale a pu n’avoir qu’un seul berceau ; mais, dès sa naissance, elle eut droit de cité dans le monde entier ; quand, après les conquêtes d’Alexandre, on la voit s’assimiler rapidement les travaux du génie hellène, et ses erreurs grandir plus vite encore que les vérités astronomiques, on peut croire qu’au commencement du viie siècle avant Jésus-Christ[5] elle trouva un champ fécond dans la vallée du Nil, à la suite des légions d’Assour-akhé-idin et d’Assour-ban-habal, qui entrèrent victorieux dans Thèbes.

Mais si nous avons le droit de supposer connue en Égypte cette période chaldéenne que nous regardons comme le seul moyen pratique pouvant être à cette époque employé pour la prédiction

  1. Les éclipses de soleil et de lune ont lieu, en somme, lors de la rencontre dé l’un de ces astres, à la nouvelle lune pour le premier, à la pleine lune pour le second, avec l’un ou l’autre de deux points idéaux de la sphère céleste (les nœuds de l’orbite lunaire) opposés entre eux et animés d’un mouvement déterminé. Dans l’astronomie hindoue, qui dérive de l’astrologie helléno-orientale, les éclipses sont causées par un dragon céleste, auquel on attribue le mouvement correspondant. Le langage technique de l’astronomie moderne conserve des traces de cette antique croyance, qui fut probablement l’explication primitive du phénomène. On peut faire un rapprochement avec le serpent Apap des Égyptiens, qui lutte éternellement contre les dieux célestes.
  2. Ch. L}}.
  3. Ce que semble indiquer Adraste dans Théon de Smyrne (Liber de astronomia, ch. XXX).
  4. Schiaparelli, Le sfere, etc., p. 11.
  5. C’est l’époque du règne de Necepsos, l’astronome des légendes classiques.