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primitif dut être relativement assez élevé ; on peut regretter qu’il ne leur ait pas fait l’honneur d’une discussion.

Quoi qu’il en soit, M. Wake institue une vaste enquête sur ce qu’il appelle le sens du bien (the sensé of right) chez les races les plus voisines, selon lui, de la primitive humanité. Il est difficile d’être plus complet qu’il ne l’est dans les 250 pages environ qu’il consacre à ces recherches. Nous assistons au défilé de toute la sauvagerie, à commencer par les inévitables Australiens, qui décidément sont bien les derniers des hommes, de par l’anthropologie contemporaine. Nous ne connaissons guère que la Sociologie descriptive d’Herbert Spencer où soit accumulé un tel nombre de témoignages et de matériaux sur la question. Nous sommes loin de nous plaindre de l’abondance de ces premières vendanges ; il faut des faits d’abord, beaucoup de faits ; les inductions et les lois viendront ensuite. Par malheur, les renseignements sont souvent contradictoires, et cela sur la même race, la même peuplade ; qui croire de celui qui l’a vue tout en beau, ou de celui qui l’a vue tout en laid ? Dans ce fouillis de citations extraites de cent relations différentes, ce qui nous paraît se dégager de plus net, c’est que les sauvages, quand ils ne sont pas exaspérés par des conditions d’existence trop défavorables, ou corrompus par les prétendus bienfaits d’une civilisation qui ne leur apporte trop souvent que ses vices, ont généralement de bons instincts. On peut admettre, par exemple, avec Darwin, que l’infanticide et le cannibalisme n’existaient pas primitivement. Ce sont de tristes effets soit de la faim, soit de certaines superstitions. Affections de famille, tendance à former des amitiés, sympathie, pitié, se manifestent chez les sauvages les plus dégradés et sous tous les climats. La chasteté des filles avant le mariage est assez rare, mais le sentiment du respect dû au lien conjugal est fréquent. Des impulsions tout instinctives préexistent à la moralité réfléchie, celle qui se formule en règles obligatoires. Ce serait une œuvre à tenter un moraliste de l’école expérimentale, que de déterminer, avec toute l’exactitude possible, le nombre, la nature, les caractères, le degré d’intensité de ces impulsions ou tendances qui constituent, en l’absence de véritables principes de conduite, ce qu’on pourrait appeler la sensibilité morale des sauvages. Les éléments d’un pareil travail sont dispersés dans les quatre premiers chapitres du livre de M. Wake ; il est fâcheux qu’il ne l’ait pas entrepris.

Sans contester l’existence de bons instincts chez les sauvages,. M. Wake nie que l’approbation ou la désapprobation de certains actes soit pour eux la conséquence d’un sentiment quelconque du bien ou du mal moral. La preuve en est, dit-il, dans ce fait que la désapprobation, loin d’être absolue, est toute conditionnelle. Sévèrement punie quand elle est commise contre un membre de la tribu (à moins qu’il n’y ait consentement de la part de l’individu lésé, comme c’est souvent le cas pour l’adultère), la même action sera jugée innocente, ou simplement déplacée, si la victime est un étranger. M. Wake cherche la