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qui joignent le mérite de la vérité à celui de l’actualité. Il est utile et charmant de refeuilleter souvent avec lui son âme et sa vie : ainsi la vie et la raison, la moralité et le sens moral, évoluent ensemble, mêlant en quelque sorte leur trame continue.

Enfin, je ne crois pas, je le répète ici, que l’habitude donnée ou laissée aux enfants de faire jouer des personnages aux animaux et aux choses, et surtout aux jouets représentant des personnes ou des animaux, ait autant d’avantages que d’inconvénients. Je connais, il est vrai, une petite fille (mais elle avait cinq ans) que sa sœur aînée avait corrigée de quelques mauvaises manières en imaginant de petites scènes fictives, comme les suivantes :

La petite Berthe avait une petite ménagerie en bois peint, dont elle s’amusait quelquefois. Sa sœur lui dit un jour : « Si tu veux bien, nous allons faire un très joli jeu. Ton lion sera un petit garçon, et ta lionne sera sa maman. Le petit garçon était fort capricieux, toujours en colère, toujours désobéissant : c’était bien vilain, n’est-ce pas ? et la maman devait en être bien chagrinée ? » Et la petite Berthe d’entrer en plein dans la situation. « Oui, mauvais petit garçon, c’était bien vilain, cela. Mais ce qui était affreux, c’est que vous avez tapé du pied et que vous avez dit à maman qu’elle pleurait pour rire ! Ah ! je serais bien malheureuse, à sa place, et je ne voudrais plus vous voir. » D’autres fois, les deux sœurs jouaient ensemble maman et la bonne. Berthe voulait être maman, et sa sœur aînée devait se contenter d’être la bonne. La petite maman : « Voyons, Clarice, dites-moi la vérité, vous n’avez pas passé une heure et demie au marché ? Qu’ètes-vous devenue pendant ce temps ? Vous savez que vous m’avez été confiée par votre mère : je réponds de vous. Soyez franche avec moi, je vous pardonnerai, et je serai heureuse de vous donner un bon conseil. Vous rougissez, mademoiselle, vous ne répondez rien. Vous voulez donc que je me reproche ma bonté envers vous ? Seriez-vous une petite hypocrite, en même temps qu’une paresseuse ? Allez, je réfléchirai sur ce que je dois faire. Allez à votre ouvrage, et rappelez-vous que le manque de franchise est le pire des défauts. Pourvu que vous ne rendiez pas mon enfant semblable à vous. » La sœur aînée m’a affirmé que ces jeux demi-sérieux étaient fort du goût de la petite Berthe et la portaient à réfléchir sur ses propres défauts, ce qui est toujours bon même pour un enfant. Mais la façon ridicule et ultra-puérile dont ces jeux sont conduits d’ordinaire me met beaucoup de doutes dans l’esprit sur leur utilité morale. Je ne l’admets, du reste, en aucun cas, pour un enfant âgé de moins de trois ans, dût-il s’y intéresser réellement.