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b. pérez. — développement du sens moral

Cette pratique, dont l’utilité ne me paraît pas démontrée, surtout quand il s’agit de l’enfant jusqu’à trois ans, me ramène, d’ailleurs, au point de départ de cette étude : c’est que, si l’égoïsme est la source de toute morale, il est indispensable qu’elle s’y retrempe le plus possible. Par exemple, la pitié, stimulant énergique de la bienfaisance, doit faire vibrer en nous les fibres de la douleur morale : l’enfant ne s’intéresse aux maux d’autrui que lorsqu’il en a souffert d’équivalents en nature, sinon en degré, et que son imagination lui retrace son passé subjectif en présence de la réalité objective. C’est pourquoi j’admets avec Bain, et Locke aussi, je crois, que l’enfant, surtout le petit enfant, qui tourmente en connaissance de cause un animal, ou bat une personne, sans colère, par caprice ou brutalité native, doit subir sur-le-champ une correction corporelle, quelque légère qu’elle soit, mais qui assure le souvenir de sa propre douleur à l’imagination de celle qu’il a fait subir à d’autres. Dans le principe, ce moyen est l’essentiel ; les moyens moraux ne sont qu’accessoires, mais leur rôle prédomine, à mesure que l’enfant grandit.

On peut en dire autant de l’idée de justice : l’enfant ne l’applique d’abord aux actes d’autrui que d’après la nature des sentiments que ces actes lui font éprouver. Il s’irrite de voir qu’on lui prend ses jouets, et c’est à force d’avoir ressenti ce déplaisir, et d’avoir entendu dire qu’il est vilain de prendre aux autres ce qu’ils ne vous donnent pas, qu’il finit par concevoir l’idée concrète, et puis généralisée, d’appropriation illicite. De même, lorsqu’on punit un de ses frères moins âgés, il viendra vous raconter en détail la nature du châtiment, la faute qui l’a occasionné, surtout la manière dont le délinquant l’a supporté, et il ne manquera pas de qualifier par quelque terme général l’acte coupable : tout cela, parce qu’il en a commis de tels, et subi pour cela des punitions semblables. C’est pourquoi ne reconnaît-il pas au premier venu le droit de le punir de certaines façons ; il considère comme cruelle, comme disproportionnée, comme illégitime, la punition qu’il supporterait doucement de la part de son père, si sa mère la lui inflige. J’ai noté un exemple remarquable de ce fait, à propos d’une punition infligée à mon neveu par sa trop bonne grand’mère[1]. L’enfant déteste l’injustice, mais à lui faite ou supposée faite, et qui n’est d’ailleurs pour lui qu’un désaccord entre la manière accidentelle et la manière habituelle dont on se comporte à son égard. Il est passionné pour l’égalité, mais quand elle flatte ses caprices, ses goûts, ses penchants ; quand l’inégalité ne s’exerce qu’au détriment d’un autre, même de ses parents et de

  1. Les trois premières années de l’enfant, p. 266.