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esprit, toutes plus ou moins y ont laissé leur empreinte, et c’est ainsi que peu à peu, par l’effort pour concilier et comprendre, s’est organisée sa pensée. Quand Descartes cherche dans une philosophie nouvelle un fondement assez solide pour supporter tout l’édifice des connaissances positives, il ne s’embarrasse pas de ce que les autres ont pensé avant lui, il cherche plus à oublier qu’à se souvenir, il ferme les livres et il médite, convaincu que la raison individuelle contient toute vérité et qu’il suffit de frapper juste pour l’en faire jaillir. Pour nous, nous avons vu tomber tant de doctrines et de constitutions qu’on avait proclamées définitives, qu’avant d’affirmer nous nous sentons pris d’hésitation, qu’avant d’oser penser nous ouvrons l’histoire et nous nous usons les yeux à chercher dans les systèmes qui ont vécu l’âme de vérité qui les a soutenus et le principe de mort qui les a tués. Il y a tant de manières de se tromper que plus d’un se sent pris d’effroi et se console par la science des erreurs commises de l’ignorance de la vérité. L’œuvre de M. Vacherot est l’histoire de sa pensée, le Discours de la méthode d’un esprit du xixe siècle qui a résisté au découragement et n’a pas succombé sous le fardeau de l’histoire. Il a regardé autour de lui, il n’a pas été satisfait. Alors il s’est mis à l’œuvre et il a entrepris son grand voyage à la recherche de la vérité métaphysique. Il a traversé tous les systèmes, et il s’y est plus ou moins attardé ; il a connu le charme de se reposer dans une théorie, de ne se souvenir que de ce qui la confirme, d’oublier tout ce qui la contredit, de considérer ainsi le monde d’un point de vue d’où l’on croit tout embrasser, jusqu’à ce qu’un mouvement imprévu révèle des horizons nouveaux et force à monter plus haut pour embrasser davantage ; il a connu les réveils douloureux devant l’évanouissement de ces mondes créés par un mirage de l’esprit qui réalise ses illusions. Son imagination s’est laissé tenter par le vide et les atomes, son entendement par le mécanisme abstrait des mathématiciens. Le spiritualisme met l’homme en sympathie avec toute la nature, il s’est épris de cette doctrine dans la mythologie grecque, il en a admiré la fécondité dans Aristote, la vertu pratique chez les Stoïciens ; il en a suivi la renaissance et les progrès dans Leibniz et les contemporains. Il n’a pas été insensible aux séductions de l’idéalisme, il en a connu l’ivresse orgueilleuse ; il s’est plu aux subtilités des écoles platoniciennes ; il a aimé Descartes, très simple et très grand ; Malebranche lui a dit des choses très hardies dans une langue charmante ; longtemps il a cru qu’il s’en tiendrait à Spinoza et que la vérité était dans ses formules inflexibles ; il a quitté la France et la Hollande, il a passé en Allemagne ; il s’est arrêté devant la philosophie critique, il s’est demandé