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Th. ribot. — la memoire comme fait biologique.

un sentiment, comme une chose, comme une unité. La réflexion montre pourtant bien vite que chacune de ces prétendues unités est composée d’éléments nombreux et hétérogènes ; qu’elle est une association, un groupe, une fusion, un complexus, une multiplicité. Revenons à l’exemple déjà pris : un mouvement de locomotion.

Il peut être considéré comme un réflexe d’un ordre très compliqué dont le contact du pied avec le sol est, à chaque moment, l’impression initiale. Prenons d’abord ce mouvement sous sa forme complète. Le point de départ est-il un acte volontaire ? Alors l’impulsion née, d’après Ferrier, dans une région particulière de la couche corticale, traverse la substance blanche, atteint les corps striés, parcourt les pédoncules, la protubérance, la structure compliquée du bulbe, où elle passe de l’autre côté du corps, redescend le long des cordons antéro-latéraux de la moelle jusqu’à la région lombaire, de là le long des nerfs moteurs jusqu’aux muscles. Cette transmission est accompagnée, ou suivie, d’un retour vers les centres à travers les cordons postérieurs de la moelle et la substance grise, le bulbe, l’isthme de l’encéphale, la couche optique et la substance blanche jusqu’à l’écorce cérébrale. Prenons ce mouvement sous sa forme abrégée la plus ordinaire, celle qui a un caractère automatique. Dans ce cas, d’après l’hypothèse généralement admise, le trajet va seulement de la périphérie aux ganglions cérébraux pour revenir à la périphérie : la partie supérieure du cerveau restant désintéressée.

Ce trajet, dont nous avons indiqué grossièrement les principales étapes et dont les plus savants anatomistes sont loin de connaître tous les détails, suppose la mise en activité d’éléments nerveux très nombreux en ce qui concerne la quantité, très différents en ce qui concerne la qualité. Ainsi les nerfs moteurs et sensitifs diffèrent par leur constitution histologique des nerfs de la moelle et du cerveau. Les cellules diffèrent entre elles par le volume, par la forme (fusiformes, pyramidales, géantes, etc.), par l’orientation, par le nombre de leurs prolongements, par leur position dans les diverses parties de l’axe cérébro-spinal, pusqu’elles sont répandues depuis l’extrémité inférieure de la moelle jusqu’aux couches corticales. Tous ces éléments jouent leur partie dans ce concert. Si le lecteur veut bien jeter les yeux sur quelques planches anatomiques et sur quelques préparations histologiques, il se fera une idée approximative de la somme inouïe d’éléments nerveux nécessaires pour produire un mouvement et par conséquent pour le conserver et le reproduire.

Nous croyons donc de la plus haute importance d’attirer l’attention sur ce point : que la mémoire organique ne suppose pas seulement une modification des éléments nerveux, mais la formation