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entre eux d’associations déterminées pour chaque événement particulier, l’établissement de certaines associations dynamiques qui, par la répétition, deviennent aussi stables que les connexions anatomiques primitives. À nos yeux, ce qui importe, comme base de la mémoire, ce n’est pas seulement la modification imprimée à chaque élément, mais la manière dont plusieurs éléments se groupent pour former un complexus.

Ce point étant pour nous d’une importance capitale, nous ne craindrons pas d’y insister. D’abord, on peut remarquer que notre hypothèse — conséquence nécessaire de ce qui est admis sur le siège de la mémoire — simplifie certaines difficultés en paraissant les compliquer. On s’est demandé si chaque cellule nerveuse peut conserver plusieurs modifications différentes, ou si, une fois modifiée, elle est pour jamais polarisée. Naturellement, on en est réduit à des conjectures. On peut penser toutefois sans témérité que, si elle est capable de plusieurs modifications, le nombre doit en être limité. On peut même admettre qu’elle n’en garde qu’une. Le nombre des cellules cérébrales étant de 600 000 000, d’après les calculs de Meynert (et sir Lionel Beale donne un chiffre beaucoup plus élevé), l’hypothèse d’une impression unique n’a rien d’inacceptable. Mais cette question est pour nous d’un intérêt secondaire ; car, même en admettant la dernière hypothèse, — la plus défavorable pour expliquer le nombre et la complexité des souvenirs organisés, — nous ferons remarquer que cette modification unique, pouvant entrer dans des combinaisons différentes, peut produire des résultats différents. Il ne faut pas tenir compte seulement de chaque facteur pris individuellement, mais de leurs rapports entre eux et des combinaisons qui en résultent. On peut comparer la cellule modifiée à une lettre de l’alphabet : cette lettre, tout en restant la même, a concouru à former des millions de mots dans les langues vivantes ou mortes. Par des groupements, les combinaisons les plus nombreuses et les plus complexes peuvent naître d’un petit nombre d’éléments.

Pour en revenir à notre exemple de la locomotion, la mémoire organique qui lui sert de base consiste en une modification particulière d’un grand nombre d’éléments nerveux. Mais plusieurs de ces éléments ainsi modifiés peuvent servir à une autre fin, entrer dans d’autres combinaisons, faire partie d’une autre mémoire. Les mouvements secondaires automatiques qui constituent la natation ou la danse supposent certaines modifications des muscles, des articulations, déjà usitées dans la locomotion, déjà enregistrées dans certains éléments nerveux : ils trouvent, en un mot, une mémoire déjà organisée dont ils détournent plusieurs éléments à leur profit, pour les