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boirac.les problèmes de l’éducation

chacune de ces sphères ; et l’ordre même selon lequel se superposent les différentes formes de la vie est celui des degrés divers que l’éducation doit parcourir. M. Compayré admet en principe la doctrine d’Herbert Spencer : il croit aussi que l’éducation a pour objet de préparer l’homme à toutes les catégories d’actions dont la vie se compose, « pour que l’homme soit à la fois parfait et heureux autant qu’il peut l’être. » Il intercale seulement un terme nouveau dans la classification d’Herbert Spencer. Dédoublant, pour ainsi dire, cette vie intellectuelle que l’auteur de l’Essai place après toutes les autres et dont les lettres, les sciences, les arts sont les principaux éléments, il y distingue ce qu’on pourrait appeler le nécessaire et le superflu ; et, non peut-être sans raison, il prétend qu’un certain développement intellectuel et moral est presque aussi indispensable à l’homme que la conservation même de la vie physique, et qu’il doit passer même avant la vie domestique et la vie sociale, dont il est d’ailleurs la condition sine quâ non. « En second lieu, dit-il, après avoir parlé de la vie physique et du besoin de bien-être et de sûreté personnelle, l’homme est une personne morale et doit s’efforcer d’acquérir de plus en plus les caractères qui la constituent, la conscience, la raison, la volonté, le sentiment religieux. »

Malgré la légitime autorité qui s’attache aux idées de M. Herbert Spencer en cette grave question, il était permis de se demander si le but de l’éducation se confond entièrement avec le but même de la vie. Sans contredit, c’est pour la vie qu’on doit élever les hommes, et les fins propres de l’éducation doivent se rapporter et se subordonner aux fins générales de la vie. Mais il ne s’ensuit pas que chaque art n’ait point son but spécial, et que la pédagogie en particulier n’ait pas à faire entrer en ligne de compte d’autres données que celles qui suffisent à la morale. Il serait certainement désirable que l’éducateur pût préparer l’élève à toutes les formes de la vie ; mais, à la considération du désirable, il faut joindre celle du possible Or, quelle que soit la puissance de l’éducation, elle n’est pas illimitée, et l’influence même de l’éducateur ne doit pas être exclusive ; elle ne peut pas s’exercer toujours. Aussi, quelque désirables que soient certaines connaissances, si l’individu est capable de les acquérir plus tard par ses propres efforts, et s’il est probable que les nécessités de la vie le contraindront à les acquérir, l’éducation est peut-être excusée de n’en point faire son œuvre propre, et cette excuse aura encore plus de poids si ces connaissances, provisoirement sacrifiées, laissent la place libre à d’autres, importantes aussi et nécessaires, quoiqu’à un moindre degré, telles cependant que l’individu, si l’éducation ne les lui communiquait dès l’enfance ou la