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tible avec l’esprit nouveau, qui est le catholicisme), ni sous la forme amendée (et par suite contradictoire, qui s’appelle le protestantisme libéral) et vous accorderez à l’auteur qu’ « il convient de se mettre à la recherche d’idées religieuses d’une autre provenance, aptes à remplacer et même à surpasser celles qui sont usées ». M. de Hartmann se défend naturellement d’avoir trouvé cette panacée ; mais il consent du moins à tracer les conditions et les limites dans lesquelles devront se produire les tentatives que provoqueront les besoins sociaux ; un pessimisme moral, fondé sur un pan-monothéisme métaphysique : « telle est la religion qui s’accorderait le mieux avec la raison et satisferait le mieux le sentiment de l’humanité. »

Le but de M. de Hartmann est donc tout positif et pratique, non pas théorique ni dogmatique. La religion n’a pour lui que cette valeur subjective et relative d’être « la seule forme sous laquelle l’idéalisme soit accessible à la foule ». Il ne s’applique pas à rechercher la part de vérité que contiennent les religions positives, mais à donner au « besoin religieux » une satisfaction sans laquelle l’esprit du peuple risquerait de s’égarer. Son livre est d’un moraliste sceptique, dont la philanthropie est plus faite de dédain que d’amour, et dont la dialectique hautaine ne s’abaisse pas à discuter les prétentions ontologiques des religions. En un mot, M. de Hartmann est un des représentants les plus achevés de l’esprit de notre temps, où le positivisme anglais, la métaphysique allemande et la critique française s’allient si curieusement pour former une méthode restée jusqu’ici sans nom, mais que MM. Renan, Taine, Renouvier mettent chaque jour et très diversement en œuvre sous nos yeux.

M. de Hartmann est un contemporain, M. Mamiani est un ancien. Je ne sais pas d’homme qui ait été plus intimement mêlé que M. Mamiani à toutes les luttes du siècle, et qui ait su, comme lui, tenir son âme au-dessus des tempêtes qu’il a traversées. À vingt ans, — il y a longtemps de cela ! — il est carbonaro et conspire ; on le saisit, on l’emprisonne ; il improvise alors ce merveilleux hymne à la liberté, qui devient comme le chant de guerre du patriotisme italien ; il s’évade, on le bannit ; il vient en France, où il se lie avec Thiers, Guizot, Michelet, Jouffroy, Cousin, ce dernier surtout, qui le séduit par ses allures de rénovateur de la philosophie et lui inspire la noble ambition de jouer ce rôle parmi les siens. Enfin, depuis soixante ans, tour à tour exilé ou ministre, président du Sénat ou chef de l’opposition constitutionnelle, orateur, poète et philosophe, M. Mamiani n’est resté étranger à aucune des questions politiques ou internationales, à aucun des problèmes moraux ou sociaux qui ont pu troubler son pays et l’humanité.

Et pourtant le trouble n’a jamais pénétré dans son âme, restée étrangère aux mouvements complexes et contradictoires qui tiraillent en tous sens l’esprit discursif de notre époque. Il a gardé immuablement la foi sereine au bien et au beau, la croyance en l’idéal, l’espoir d’un avenir meilleur pour ce monde et d’un monde meilleur après