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LÉVÊQUE. — l’esthétique musicale en france

crement ou même ne l’écoute qu’avec un sentiment d’ennui. Est-ce donc que le quatuor n’est pas de nature à plaire ? Loin de là : « Il charme le savant par l’intérêt de la forme ; l’instrumentiste par celui de l’exécution ; le poète, par la langue qui répond le mieux à la sienne[1]. »

Tel est le jugement qu’en porte un musicien éminent, un professeur habile et, j’ajoute, un véritable psychologue en ce qui touche les faits relatifs à ce genre de production. Mais précisément parce que M. Eugène Sauzay a une très haute idée de la valeur artistique du quatuor, il s’empresse de déclarer qu’il n’est pas facile de trouver un véritable auditeur de cette œuvre instrumentale. « Tout le monde entend, dit-il, mais peu écoutent, et un plus petit nombre encore comprend. Il est vrai de dire que les conditions d’une audition parfaite sont aussi nombreuses que compliquées, et d’autant plus difficiles à remplir qu’elles exigent une sorte d’abnégation de soi-même. Un auditeur attentif, instruit, sans prétention, sans pédantisme, sans parti pris d’admiration ou de répulsion, sensible et sympathique aux beautés de l’œuvre, entrant dans l’esprit de l’exécutant pour y faire germer l’éloquence, écoutant bien pour lui-même sans s’imposer aux autres, enthousiaste et discret, est, au point de vue qui nous occupe, un parfait musicien, un type rare que peut seul réaliser un heureux mélange d’instinct et d’expérience[2]. » Ce type, l’excellent livre de M. Sauzay a pour but de le préparer, de l’instruire, de le former. Et comme l’exécutant est ici pareillement un auditeur qui s’écoute lui-même, qui écoute ses compagnons, qui écoute enfin la composition elle-même avec le désir de la goûter et le besoin de la comprendre, il se trouve que c’est à l’exécutant non moins qu’à l’auditeur que M. Eugène Sauzay trace « la route la plus simple et la plus sûre pour arriver à une complète intelligence de l’œuvre » [3].

La complète intelligence de l’œuvre est, nous croyons l’avoir établi dans des études précédentes, l’interprétation aussi exacte que possible qu’en donne à l’auditeur son imagination musicale. C’est donc en réalité l’imagination interprétative appliquée au quatuor que le savant professeur vise à guider, à éclairer, à seconder. Voyons comment il va s’y prendre.

Pour initier son lecteur au sujet du quatuor, il a recours à l’analyse. Il dit d’abord quel est le nombre, quel le caractère, quelle la forme et quel le mouvement de chacun des morceaux qui composent

  1. Eug. Sauzay, Haydn, Mozart, Beethoven, étude sur le quatuor, p. 22.
  2. Eug. Sauzay, ouvrage cité, p. 25.
  3. Même ouvrage, p. 27.