Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVII, 1889.djvu/124

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
114
revue philosophique

les autres par réduction. Mais le quatuor lui-même n’est que la symphonie ramenée à ses éléments essentiels, ou plutôt la symphonie n’est que le quatuor agrandi au moyen de l’adjonction de toutes les puissances de l’orchestre. Ainsi la musique de chambre, considérée dans son type accompli le quatuor, doit être comprise, interprétée, expliquée comme la symphonie ; et il semble, au premier aspect, qu’il nous serait permis de dire que, quant au rôle de l’imagination interprétative et du secours que lui offrent les indications en paroles, ce qui est vrai de la symphonie est vrai du quatuor, de telle sorte que pour l’un et pour l’autre la psychologie serait à peu près la même.

Toutefois, il n’est pas philosophique et il est toujours dangereux de noyer les différences dans les ressemblances. Or, malgré leurs parties communes, la symphonie et le quatuor présentent des dissemblances. Le quatuor passe, non sans raison, pour être une musique plus pure encore, encore plus simplement instrumentale que la symphonie. Il n’est point escorté par un programme chargé d’en traduire en paroles la signification ; il n’est précédé d’aucun sommaire ; s’il porte un titre, cela est rare, et, lorsqu’il en a un, on le désigne moins par ce titre que par le ton dans lequel il est écrit ou même par un simple numéro d’ordre. On en pourrait conclure, peut-être en a-t-on déjà conclu que les théoriciens, les critiques, les auditeurs, les maîtres se comportent à l’égard de la musique de chambre autrement qu’à l’égard de la symphonie ; qu’ils n’y trouvent, n’y signalent, n’y cherchent, n’y goûtent, n’y mettent que des combinaisons diversement agréables pour l’oreille. D’où quelques-uns tirent cette conclusion plus radicale qu’il y a donc une musique tout à fait inexpressive et ne consistant que dans des séries savamment enchaînées de formes sonores et mouvementées. Si cette opinion était vraie, si elle était universellement acceptée, l’imagination interprétative n’aurait rien à démêler avec le quatuor, les critiques n’en apporteraient nulle explication, les exécutants le joueraient sans s’inquiéter de rien exprimer ; enfin les compositeurs, les maîtres n’y écriraient pas un seul mot qui eût une signification psychologique quelconque.

En est-il ainsi ? Nous sommes en mesure de constater justement le contraire.

Le quatuor est la composition musicale la plus difficile à comprendre, comme elle est la plus difficile à exécuter et la plus difficile à bien traiter. « Le nombre des maîtres qui y ont réussi est singulièrement restreint[1]. » L’ignorant, l’homme du peuple le goûte médio-

  1. Berlioz, Mémoires, t.  II, p. 281.