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au primitif ou au simple, un ou plusieurs sons dont l’intensité s’est affaiblie en passant des seconds dans les premiers. Il en est ainsi de l’o de sculptor devenu u dans sculptura, de l’a de facio devenu i (probablement par l’intermédiaire e) dans conficio, et de l’a de ars devenu e dans iners. Parfois, dans des cas analogues, c’est une consonne au lieu d’une voyelle qui a fait les frais de l’affaiblissement ; exemples : luendus dérivé de luent- (dans luent-is, etc.), vorago dérivé de vorac- (dans vorac-is), où t et c se sont affaiblis ou adoucis en d et g.

La cause de ces changements phonétiques est visible : la somme de force continue requise pour la prononciation des mots primitifs ou des mots simples s’accroissant nécessairement pour celle que nécessitent les dérivés et les composés, les organes éprouvent alors une tendance instinctive à économiser aux dépens de l’intensité de tel ou tel son une partie du supplément d’effort qu’ils ont à fournir pour la prononciation de l’ensemble de ceux qui composent les mots allongés par la dérivation ou la composition. Il se produit alors une sorte de compensation ou d’équilibre entre l’effort musculaire (et par conséquent ses effets) nécessité dans le premier cas et celui que réclame le second. Il faut ajouter que les changements phonétiques qui résultent de cette compensation, n’aboutissent pas en général à la création de sons nouveaux (bien que quelques-uns puissent devoir leur origine à de telles circonstances), mais simplement à la substitution à des sons forts de sons faibles apparentés (comme l’u à l’o ou l’e à l’a) déjà existants.

La plus grande partie, sinon la totalité des modifications phonétiques que l’on constate dans les langues indo-européennes, peuvent être rapportées aux deux causes qui viennent d’être indiquées et que nous rappelons :

1o Défaut des organes entraînant l’émission et l’adoption de sons nouveaux généralement plus faibles que les anciens ;

2o Allongement des formes verbales ayant pour effet la substitution de sons faibles aux sons forts.

L’une et l’autre de ces causes aboutissent d’ailleurs à la règle suivante :

Tout changement phonétique s’effectue moyennant le passage d’un son fort à un son faible.

Il suffit pour en constater la justesse de se rappeler que toutes les lois phonétiques importantes des langues indo-européennes : assimilation sous ses différentes formes, traitement de la sifflante en grec et en latin, rhotacisme, lambdacisme, dentalisme, abaissement du diapason vocalique, etc., sont des affaiblissements.