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REGNAUD. — l’évolution phonétique du langage

L’affaiblissement est donc le phénomène général qui préside aux transformations phonétiques du langage.

III

Faut-il revenir maintenant à cette fameuse question du caractère absolu des lois phonétiques, qui a donné lieu à tant de discussions byzantines et qui semble s’obscurcir dans la mesure même où on la discute davantage ? Il est bon de dire qu’outre la subtilité des arguments invoqués de part et d’autre, elle a de commun avec celles qui ont donné lieu aux querelles théologiques du Bas-Empire d’être devenue la base de théories que des écoles se sont fondées pour défendre et qui constituent toute leur raison d’être. Allez maintenant persuader à celle-ci ou à celle-là qu’elle est dans l’erreur et qu’elle doit brûler ce qu’elle a adoré ! Il faudra bien y venir pourtant, car la vérité finit toujours par prévaloir. Mais au train où les choses vont, il y en a encore pour longtemps. Comment ne pas le craindre quand on voit un des plus intelligents défenseurs du caractère absolu des lois phonétiques, M. V. Henry, déclarer[1] qu’il maintient plus que jamais la « formule suivante de conciliation » qu’il proposait déjà il y a trois ans : Au point de vue de la méthode du linguiste, traiter toutes les lois phonétiques comme si elles étaient constantes, encore bien que dans la pratique on ne puisse démontrer qu’elles le soient ? Ce qui signifie en bon français que la « méthode du linguiste » est antérieure et supérieure aux faits. Malgré la fermeté de son attitude, nous serions bien curieux de savoir ce que M. Henry trouverait à répondre à la formule inverse : Traiter toutes les lois phonétiques comme si elles étaient inconstantes, d’autant plus que dans la pratique on les trouve telles.

On voit que si la logique avait voix au chapitre le problème serait bientôt résolu. Mais quand l’aura-t-elle ?

En attendant, pour quiconque observe les faits et raisonne sans parti pris, il ne saurait y avoir d’absolues, comme nous l’avons dit plus haut, que les lois phonétiques individuelles : tout le reste n’est qu’imitation directe ou indirecte, c’est-à-dire résultat de l’éducation ou de l’usage.

Mais admettrait-on le principe cher à M. Henry et à l’école de la nouvelle grammaire, qu’il serait impossible encore en bonne logique d’adopter les conséquences dont cette école a fait son credo. Indi-

  1. Revue critique, nº du 5 novembre 1888.