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ces circonstances accessoires du regard qu’au regard lui-même : le globe de l’œil en lui-même, dit-il, est assez insignifiant et il soutient que les amants qui s’imaginent deviner à travers la pupille les pensées les plus secrètes de leur bien-aimée sont le jouet d’une naïve illusion. L’œil n’est pas, comme ils le croient, l’âme visible : ce nom ne doit être donné qu’à la face tout entière avec tous ses muscles et les savantes combinaisons qui procèdent à leur contraction. Citons encore l’étude minutieuse de la bouche et des combinaisons des traits de la bouche avec les différentes expressions du regard : trait amer, trait amer avec des rides verticales sur le front, trait amer avec le regard ravi, trait amer avec des rides horizontales, etc. ; puis les mêmes combinaisons du trait doux, du trait scrutateur, du trait pincé. Même en avertissant que le trait amer est ainsi caractérisé : « rebord rouge de la lèvre supérieure attiré en haut au milieu de sa moitié latérale, lèvre supérieure renversée, ailes du nez relevées, les deux sillons naso-labiaux fortement prononcés et singulièrement rectilignes », que le trait doux qui s’oppose au précédent a pour signe particulier que « le muscle orbiculaire des lèvres étant attiré fortement contre les dents à l’aide des muscles canins placés derrière lui, les lèvres rouges perdent leur gonflement normal, de sorte qu’elles apparaissent maintenant aplaties et en ligne droite ou du profil », — nous ne pourrions donner au lecteur que des idées vagues, et mieux vaut s’abstenir.

Ce qui nous intéresse particulièrement dans l’ouvrage, ce sont les principes de l’auteur, sa méthode, le côté personnel et original de ses recherches, indépendamment de l’intérêt pratique de ses conclusions. Voici ses principes : l’organe de l’esprit est une partie du cerveau, « le cerveau psychique » ; un objet matériel n’existe pour nous que s’il excite et stimule les organes des sens ; en dernière analyse, il n’est pour nous que notre représentation. Or il y a deux sortes de représentations, les concrètes (images individuelles) et les abstraites (images schématiques et idées générales) : celles-ci ne sont abstraites que relativement et grâce à un pouvoir d’élaboration qui appartient à l’esprit, mais elles ont toujours leur origine dans le concret. Dès lors, tout est imaginaire, ou si l’on veut tout se passe comme si l’objet réel de la représentation était purement imaginaire ; son existence matérielle et actuelle peut être la cause de ma représentation et c’est même là une hypothèse naturelle, mais au fond elle n’ajoute rien à ma représentation. L’objet extérieur d’un halluciné est un mensonge ; l’objet extérieur de la perception normale est un mensonge vrai. N’en tenons donc aucun compte ; nous en avons le droit, car si dans la perception le phénomène est dirigé pour ainsi dire du dehors au dedans, de l’objet au sujet, c’est justement le contraire qui a lieu dans les faits d’expression mimique : ils sont dirigés du dedans au dehors et paraissent être l’ouvre non de l’objet qui, par définition, est extérieur, mais de la représentation qui possède une sorte de vertu plastique et nous modèle intérieurement. Voici donc la première proposition fondamentale de la