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être serait-elle impossible aujourd’hui en raison du long séjour de ce cerveau dans l’alcool. Je prends cependant la liberté de signaler aux histologistes le grand intérêt que présenterait cette étude faite comparativement sur les premières circonvolutions temporales droite et gauche ; car, si l’on pouvait constater une atrophie histologique de la première et une hypertrophie de la seconde, l’hypothèse qui vient d’être présentée se trouverait par ce seul fait fortement corroborée.

Si la première circonvolution temporale est réellement le siège des sensations auditives, ainsi que tendent à le prouver des expériences de Ferrier et les faits anatomiques exposés ci-dessus, le développement considérable de T1 gauche chez Bertillon ne doit pas être seulement en rapport avec la suppléance qu’exerçait cette circonvolution au point de vue de la perception sensorielle. Cette suppléance devait exister chez un sourd de l’oreille gauche, car bien que nous entendions une foule de choses des deux oreilles à la fois, il n’en est pas moins vrai que chaque oreille perçoit beaucoup de paroles que l’autre oreille ne perçoit pas ou perçoit insuffisamment, de sorte que la surdité d’un côté oblige celui qui en est atteint à se servir sans cesse de son oreille saine chaque fois que son attention est éveillée, tandis que l’autre oreille demeure inactive dans ce cas aussi bien que dans ceux où elle aurait pu percevoir des bruits de rencontre si l’on peut ainsi dire. Mais il ne faut pas envisager uniquement ici le substratum cérébral de l’activité sensorielle.

La sensation n’est, en effet, que le premier anneau de la chaîne physiologique qui se termine par l’incitation motrice, et il est probable que cette chaîne tout entière doit être influencée anatomiquement aussi bien que physiologiquement dans un hémisphère cérébral où les impressions auditives sont perçues exclusivement par rapport à l’autre hémisphère. Beaucoup d’idées et de mouvements sont liés directement ou indirectement à ces impressions, et cette liaison ou association comporte nécessairement un substratum cérébral, d’où il suit que, dans un cas tel que celui de Bertillon, le grand développement de la première circonvolution temporale gauche non seulement s’explique, mais encore doit être accompagné d’un développement supérieur de diverses parties de la surface cérébrale. La recherche de ces parties présente évidemment un grand intérêt dans l’ordre d’investigations qui nous occupe en ce moment, car elle peut être le point de départ d’hypothèses fructueuses et, en tout cas, scientifiques. C’est à ce titre que j’exposerai les faits et considérations qui suivent.

A. — Il y a lieu, tout d’abord, d’examiner la partie postérieure de la circonvolution de Broca qui est contiguë à T1. Je rappellerai ici que Bertillon était gaucher dans son enfance et devait par conséquent être droitier du cerveau en ce qui concerne le langage. Il est de fait que le cap de la troisième circonvolution frontale, c’est-à-dire la partie de cette circonvolution comprise entre la branche ascendante et la branche antérieure de la scissure de Sylvius est beaucoup plus déve-