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A. FOUILLÉE.primauté de la raison pratique

hommes, celle de la nature. Il y a là de véritables données de l’expérience interne ou externe, ou des déductions et inductions de l’expérience selon les lois constitutives de notre pensée et de notre cerveau ; seulement toutes ces données ne sont pas élucidées par la réflexion philosophique. Les principes de la science ne renferment donc pas, comme le prétendent MM. Renouvier et W. James pour établir la priorité de la raison pratique, — un vrai « facteur de croyance », au sens de croyance passionnelle et volontaire ; à plus forte raison ne renferment-ils primitivement aucun facteur de croyance morale. Le rôle de la métaphysique est précisément d’analyser, de critiquer les premiers principes, de changer les hypothèses spontanées du sens commun en thèses réfléchies de la conscience et de l’expérience. Par cela même la métaphysique, loin de se suspendre à des croyances, soit morales, soit passionnelles, tend à éliminer entièrement tout ce qui ressemble à de la croyance, à une intervention quelconque de la passion ou de la volonté dans la question de savoir ce qui est. Le métaphysicien critique la volonté elle-même et ses tendances, y compris la tendance morale, au lieu de se subordonner d’avance à la moralité et à la pratique[1].

II

Reste le second argument, qui se borne à soutenir que l’intérêt moral l’emporte sur l’intérêt scientifique et métaphysique, qui doit, dès lors, finalement, s’y subordonner. Mais qu’est-ce que Kant entend par l’intérêt moral ? Ne l’oublions pas, il entend la pure moralité a priori, « excluant toute participation de la nature dans la détermination de la volonté » et reposant sur la conception d’une liberté étrangère à la nature même. Considérons donc cette loi morale dans son fond et dans sa forme, et voyons si elle peut commander à la spéculation métaphysique.

En ce qui concerne le fond de la loi morale, Kant nous apprend qu’elle ne contient absolument rien qui appartienne à la nature et au monde sensible : la notion de la liberté, dit-il, relativement à notre connaissance, ne représente qu’un principe négatif, une

  1. D’ailleurs, nous ne saurions admettre que la croyance soit, en aucun cas, une affirmation libre, un jugement volontaire. La croyance est, ou une fatalité d’instinct et de passion, ou une probabilité intellectuelle non analysée et non mesurée, mais qui entraîne cependant en un certain sens déterminé : c’est un désir ou une vue obscure des choses. Enfin, en admettant même que la croyance fut libre, elle ne pourrait jamais être une affirmation ou une certitude. La vérité d’un jugement étant sa conformité à l’objet, conformité objective qui ne dépend pas de notre libre arbitre, c’est une contradiction de dire : — Il dépend de ma volonté d’être certain d’une chose dont la vérité est indépendante de ma volonté même.