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et un expérimentateur. Aucun savant n’a su jusqu’ici faire sa part à la Philosophie. Nous croyons qu’il y a dans le livre de M. Lombroso le germe bien réel d’une théorie philosophique du génie.

I

La méthode mise en œuvre par M. Lombroso dans l’Homme de génie est la méthode même qui est destinée à transformer la psychologie. « La nature institue pour notre usage des expériences subtiles, telles qu’un despote oriental pourrait seul les réaliser[1]. » Les exceptions monstrueuses qu’il serait impossible et même criminel de provoquer, s’offrent d’elles-mêmes à notre regard. La maladie s’attaque aux organismes et rend la liberté aux éléments emprisonnés qui se rejoignent dans des combinaisons inattendues et nous révèlent ainsi leur nature intime. Le livre de M. Lombroso est l’une des plus belles applications qui aient été faites jusqu’ici de la méthode pathologique.

La démonstration de l’auteur nous a semblé traverser deux phases principales. M. Lombroso prend d’abord le génie comme point de départ et nous conduit ainsi aux frontières de la folie. Il analyse ensuite la folie elle-même et y retrouve le génie. Ainsi le livre entier se trouve divisé en deux grandes parties bien distinctes. Suivons dans ce double mouvement inverse la pensée de M. Lombroso.

L’homme de génie, on le sait trop, n’est point à l’abri de la folie. Même, il semble que cette suprême disgrâce lui soit plus souvent infligée qu’à tout autre. Assez de grands exemples attestent l’union dans la même pensée de la folie et du génie. Une telle coïncidence n’a point échappé à la foule qui enveloppe dans la même compassion l’homme de génie et l’aliéné. Un tel rapport grandit en importance si, au lieu de considérer le génie et la folie comme des faits déjà réalisés et en quelque sorte immobiles, nous assistons à leur mystérieuse évolution. Tout organisme résulte du concours et comme de la lutte de deux facteurs, l’un externe, l’autre interne : ce sont le milieu environnant et l’hérédité. Par le milieu extérieur, la nature nous assiège et imprime sur nous sa marque : par l’hérédité, notre spontanéité propre lutte contre la nature et triomphe de ses résistances. M. Lombroso, qui a écrit sur la Pensée et les Météores un livre trop peu connu en France[2], nous montre comment les forces extérieures produisent les mêmes effets sur le grand homme et sur le fou, comment le même rayon de soleil qui éclaire l’intelligence du penseur élève du même coup jusqu’au paroxysme la manie de l’aliéné[3]. De même, il a montré comment la dégénérescence, cette

  1. Ribot, la Psychologie nouvelle.
  2. Pensiero e Meteori (Biblioth. scientif. internationale), non traduit.
  3. L’Homme de génie, partie II ; — Étiologie du génie.