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ANALYSES ET COMPTES RENDUS


J. Gourd. Le Phénomène. Esquisse de philosophie générale. Paris, F. Alcan, 1888.

I. — Ce livre est d’un métaphysicien qui, se défiant des incertitudes de la métaphysique, s’est promis de ne dépasser point les bornes de la « philosophie générale ». À ses yeux la métaphysique doit être autre chose « qu’une doublure de la philosophie générale » ; elle admet des catégories supérieures à celles de la pensée scientifique, un « hors conscience », au seuil duquel la philosophie générale trouve sa limite. Celle-ci a pour objet les dernières différences irréductibles ; celle-là serait-elle la science de l’absolu, de la substance ultra-phénoménale » ? Non : si la science n’épuise pas la croyance du savant lui-même et si hors le phénomène il ne connaît rien, il affirme sans hésiter qu’il y a autre chose. Peut-il penser cette autre chose ? Sommes-nous réduits à l’affirmation d’un hors conscience réfractaire à tout essai de détermination, même conjecturale ? « La situation la plus difficile à maintenir n’est pas celle du métaphysicien ; c’est celle de l’homme de science qui veut rester strictement homme de science. Tout le monde est métaphysicien, constamment métaphysicien, on ne doit faire exception pour personne, pas même pour ceux qui, dans leur système, se sont rigoureusement interdit de l’être. » Au delà de la science s’ouvrent des perspectives ultra-scientifiques ; dès lors, non seulement on peut dire qu’au delà de la philosophie générale s’étend un ordre nouveau de recherches ; cet ordre nous est impénétrable et cependant, nous avons beau faire, nous commettons, malgré nous, le sacrilège d’y pénétrer. Mais l’homme ne pouvant sortir de la conscience, comment se représentera-t-il ce qui la dépasse ? en fonction de ce qui s’y trouve contenu. » La métaphysique doit être autre chose qu’une doublure de la philosophie générale ; pour nous à peine peut-elle être autre chose. Notre interprétation va peut-être plus loin que la pensée de M. Gourd, j’entends sa pensée explicite ; quant à sa pensée implicite, nous croyons ne la point trahir ; car s’il distingue entre la philosophie générale et la métaphysique, il ne veut point d’une distinction radicale qui fermerait aux catégories de la science l’accès dans le monde métaphysique. Chez Kant, le noumène est l’antithèse du phénomène ; chez M. Gourd, le noumène n’a point de place et il n’est aucun monde de choses en soi que l’on puisse superposer au monde de l’expérience.