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ANALYSES.j. gourd. Le Phénomène.

ques ; d’abord attribués au moi, ils en sont exclus, bien que d’une manière incomplète, puisque l’impossibilité serait absolue d’affirmer le non-mien s’il n’était mien en quelque manière. Dès lors, si rien n’existe hors ma conscience, rien n’existe hors de moi, ni le monde, ni mes semblables. La loi morale elle-même, dont le nom n’est prononcé nulle part, reste en dehors de la conscience : elle est un « hors conscience » ; elle ne fait point partie du phénomène. Je ne dis pas que M. Gourd ait tort de la reléguer dans un monde étranger à la sphère de la représentation : cela le regarde et, pour en agir ainsi, il doit vraisemblablement ne manquer point de bonnes raisons : vraisemblablement aussi, ces raisons, l’auteur nous les donnera dans un prochain livre ; mais, en attendant de savoir ce que ces raisons valent, nous sommes forcés de reconnaître que l’attitude d’un partisan du libre arbitre lui est à tout le moins difficile. Où seraient ses motifs de croire au libre arbitre ? Dans le sens commun ? Il ne s’en inquiète guère. Dans la conscience morale ? Il n’en dit pas un mot. Mieux valait supprimer carrément cette liberté gênante, deux fois gênante : car elle n’a sa place nulle part, ni dans la série des faces du phénomène, on a vu pourquoi tout à l’heure, ni dans la série des moments du phénomène, puisque sa réduction ou province de l’intelligence équivaut, selon nous, à une abolition.

Le lecteur l’a deviné ; il n’est pas une seule assertion de l’auteur où il n’y ait matière à réflexion ; il n’en est pas une où il n’y ait matière à critique : aussi n’attendra-t-on point de nous une discussion complète, une telle discussion exigerait un livre presque aussi gros que celui de M. Gourd. D’un autre côté, résumer le livre sans discuter nous eût été difficile ; pour cela, il eût fallu être sûr d’avoir tout compris ; or, en ces sortes de questions, on ne comprend jamais bien que ce à quoi l’on adhère, et l’obscurité d’une thèse fait assez souvent partie des raisons qui la rendent inacceptable. Nous avons pleinement conscience de n’avoir qu’imparfaitement saisi la pensée de M. Gourd. Aussi sommes-nous tentés de poser la plume, car plus nous avançons vers les dernières pages plus nos points d’interrogation vont se multipliant. Ainsi, nous ne comprenons pas, mais pas du tout, ce que l’auteur entend sous cette dénomination générale : « les faits du phénomène », et quand nous trouvons, sur la liste de ces faits, l’être et le non-être, le continu et le discontinu, la quantité et la qualité, etc., nous comprenons de moins en moins. Est-ce à dire que M. Gourd ait eu tort de faire partir de l’abstrait suprême trois séries de diversités irréductibles ? qu’à nos yeux, l’être et le non-être admettent le même genre d’opposition que le psychique et le physique, que le libre et le déterminé, par exemple ? Non, mais il s’en faut que cette façon de concevoir et de classer les dernières diversités nous paraisse acceptable. Pourquoi le libre et le déterminé, entre autres, sont-ils distingués du discontinu et du continu ? Je n’en vois point la raison. Pourquoi le continu et le discontinu reçoivent-ils le nom de faits ? Les motifs allégués par M. Gourd nous semblent obscurs et par là même assez peu concluants. Que la quantité et la qua-