Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVII, 1889.djvu/48

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animaux jouent un rôle considérable, se représente certains phénomènes naturels sous une forme animale. « Les grands dieux eux-mêmes, le ciel, le soleil, la lune, les montagnes et les fleuves, sont à chaque instant conçus sous forme animale. Le ciel est un grand oiseau, le soleil un taureau, la lune une vache, les fleuves des serpents, etc.[1] » Remarquons les mots « à chaque instant », qui indiquent que de pareilles croyances ne sont pas continues. De même la vache, qui paraît avoir eu une grande importance sociale à l’époque de la vie pastorale des Aryas[2], a pris place aussi dans les mythologies ; les nuages sont les vaches d’Indra, l’orage est la lutte d’Indra et de Vitra. De même certain peuple se représente son Dieu revêtu de l’uniforme d’officier de dragons russes[3]. Il faut bien voir dans tous ces faits l’effet d’une tendance à se représenter les faits sous une forme concrète ; seulement cette tendance se réduit à accoler, à une représentation visuelle ou auditive d’un phénomène naturel, des concepts, des représentations à peu près absolument hétérogènes d’autres phénomènes connus, amenés seulement par une vague analogie, et surtout par la prépondérance sociale et psychologique de certaines images qui, par leur force de systématisation, tendent à se rattacher tous les phénomènes psychiques qui apparaissent. De semblables représentations n’ont de concret que l’apparence, en fait elles consistent en représentations visuelles ou autres jointes accidentellement à des conceptions qui varient d’un peuple à l’autre, d’un homme à l’autre, probablement aussi, dans une certaine mesure et pour un même peuple, d’une époque à une autre époque. Remarquons d’ailleurs que ces représentations sont toujours non seulement vacillantes, incohérentes et troubles, mais incomplètes. Il ne faut, pour en être convaincu, que se rappeler la manière dont nos représentations des choses se fortifient et se développent avec les progrès de la science. On ne peut mieux, je crois, s’en rendre compte, qu’en comparant l’idée qu’on se fait d’un livre après l’avoir lu, et celle qu’on s’en fait avant de le lire, ou celle qu’on peut s’en faire quand on ne sait pas lire. Il n’est pas besoin d’insister pour montrer en quoi et combien la première est plus concrète que la seconde. La nature aussi est un livre que nous épelons depuis longtemps, mais où l’homme primitif et l’enfant ne pouvaient rien déchiffrer.

Il n’est pas, sans doute, besoin d’insister beaucoup pour montrer que la conception primitive n’est ni analytique, ni synthétique, tout en ayant quelques apparences d’analyse et de synthèse. Nous venons

  1. A. Réville, les Religions des peuples non civilisés, t. I, p. 245.
  2. Voyez Pictet, les Origines indo-européennes, 2e éd., t. II, p. 62, 73, 75, 84, etc.
  3. Sir John Lubbock, Origines de la civilisation.