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d’œil les diverses faces du développement qui nous occupe, et tracer dans sa vérité complète l’histoire de la pensée humaine, telle qu’elle s’exerçait avant sa différenciation et sa séparation en activités distinctes.

Tel est le premier aspect sous lequel se présente la méthode de Tannery. Bientôt pourtant il apparaît que sa pensée n’est pas là tout entière. Non seulement, en effet, selon lui, les penseurs hellènes antérieurs à Platon ont été presque tous des physiologues, mais ils n’ont été que des physiologues. En d’autres termes, ils ont été des savants, non des philosophes, au sens actuel du mot. Le noyau de leur système n’a jamais consisté dans une idée métaphysique, mais bien dans la conception générale que chacun d’eux se faisait de l’univers, d’après les faits observables qu’il en pouvait connaître. Ainsi le veut d’ailleurs la loi constante de l’esprit humain, en vertu de laquelle les connaissances concrètes sont le principe des idées abstraites et marquent ces dernières d’une empreinte qui ne s’efface qu’après une longue élaboration. S’il en est ainsi, l’étude directe des opinions des physiologues relatives à la physique n’est pas seulement un moyen de compléter utilement l’histoire conçue au point de vue philosophique cette étude est la seule qui nous permette de reconstituer historiquement les systèmes des physiologues. Nous devons, si nous nous proposons un tel objet, faire passer en première ligne ce qui, pour ces savants, fut en effet le point de départ, l’essentiel, et la raison du reste. Non seulement la partie scientifique de l’œuvre des physiologues, mais la partie philosophique elle-même ne peut être déterminée d’une manière conforme aux faits que suivant une méthode diamétralement opposée à celle des historiens philosophes.

Cette seconde apologie de la méthode positive dépasse visiblement la première. Là, Tannery ne prétendait qu’à ajouter aux connaissances que l’on possède déjà des connaissances nouvelles. Ici il substitue véritablement à la méthode philosophique la méthode positive, comme seule conforme à la réalité des choses. Ce changement, né d’une vue différente sur l’objet à étudier, aura nécessairement pour résultat une transformation complète de l’histoire des doctrines. Du moment où l’on s’efforcera, non seulement de connaître d’une manière exacte et complète les opinions des physiologues en matière physique, mais de faire de ces opinions le fondement unique de leurs idées philosophiques ; du moment où l’on placera dans ces opinions seules la caractéristique de leurs systèmes, tandis qu’on ne verra dans leurs idées philosophiques que des conjectures sur l’inconnaissable, susceptibles d’être passées sous silence sans grand détriment pour la vérité historique, les anciens physiologues apparaîtront comme des précurseurs de nos positivistes, comme des chercheurs déjà convaincus que la science doit passer avant la philosophie, mais encore ignorants de l’impossibilité où est l’esprit humain de résoudre les questions qui dépassent l’expérience.

Ainsi la portée de l’ouvrage de Tannery est considérable. Il ne vient