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ANALYSES.p. tannery. La science hellène.

pas prendre place à la suite des ouvrages classiques relatifs aux anciens physiologues : il inaugure une série de recherches toutes nouvelles[1]. Il est la prise de possession par les savants d’un domaine qui jusqu’ici avait été laissé aux philosophes : il transforme en introduction à la science ce que l’on considérait comme l’éveil de la métaphysique. Combien cette manière de voir est féconde, que d’utiles recherches elle peut susciter, combien elle renouvelle les questions, quels beaux résultats elles peut fournir, c’est ce qui ressort avec évidence de l’examen de ce livre, dont les 400 pages très denses ne contiennent rien de banal ou de négligeable.

Et d’abord, les conditions mêmes de la recherche sont complètement modifiées. Pour qui voulait dégager le noyau métaphysique des systèmes et les enchaîner suivant l’ordre qui satisfait le mieux notre esprit, Aristote était le guide par excellence. Car cette tâche est déjà celle que lui-même s’était donnée, et il l’a remplie avec la pénétration et la profondeur qui lui sont propres. Mais pour qui veut connaître avant tout les thèses scientifiques, les textes d’Aristote perdent beaucoup de leur valeur. Aristote n’est point placé au point de vue convenable : il est loin de viser à être complet ; et, le peu qu’il donne, il le définit à sa manière et parfois le dénature. Ce sont les doxographes grecs, ou auteurs de recueils d’opinions des physiologues sur les questions physiques et naturelles, qui fournissent à l’historien placé au point de vue positif les documents essentiels. De là, une étude très approfondie que donne Tannery sur les doxographes. Il suit en partie Diels, en partie aussi il présente des idées qui lui sont propres. Cette étude de la doxographie suppose une large intervention de l’érudition philologique. Aussi Tannery la recommande-t-il instamment. Il estime qu’on ne lui donne pas en France la place qu’elle réclame : il s’y est livré, quant à lui, avec une grande ardeur. Autodidacte en cette matière, il y est devenu très compétent ; et, comme en tout ce qu’il aborde, il y a recueilli le suffrage des hommes spéciaux. Parmi les précieuses parties que contient son œuvre, nous devons mentionner la traduction qu’il a le premier donnée en France des fragments des physiologues, ainsi que de la doxographie relative à chacun d’eux. Cette traduction, très fidèle et très soignée, est, non une explication, mais le décalque du texte : elle n’est pas destinée à remplacer les éditions savantes, mais à en faciliter le maniement.

Travaillant ainsi sur un terrain plus large, Tannery récolte, à chaque pas, des connaissances nouvelles. Son livre n’est pas une combinaison plus ou moins originale et heureuse des concepts traditionnels : c’est

  1. Tannery a eu le bonheur de se rencontrer en plusieurs résultats considérables avec le savant et très regretté Teichmüller. Il lui doit beaucoup et se fait gloire de le proclamer. Il n’en a pas moins commencé ses recherches d’une manière tout indépendante, et avant même d’avoir lu les écrits de Teichmüller ; et il a employé la méthode scientifique avec une précision et une suite qui ne se rencontrent que chez lui.