Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVII, 1889.djvu/55

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alors il sentit de nouveau le besoin d’aller vérifier encore l’état du tunnel, vérifié à l’instant même, et aussi souvent que M. Fabre retira la proie, aussi souvent toute l’opération fut recommencée, de sorte que le malheureux sphex vérifia l’état de son tunnel quarante fois de suite. Quand M. Fabre enleva définitivement la proie, le sphex, au lieu de chercher une proie nouvelle, et de se servir de son tunnel achevé, se sentit obligé de suivre la routine de son instinct et, avant de creuser un nouveau tunnel, il boucha complètement l’ancien, comme si tout était bien, malgré qu’il fût entièrement inutile, ne renfermant pas de proie pour les larves[1]. » Ce qu’il y a de curieux à remarquer dans ce dernier cas, c’est que le manque presque absolu d’abstraction et de généralisation qui empêchait le sphex de comprendre que son tunnel était inutile et d’agir en conséquence, s’accompagnait d’une certaine possibilité d’abstraction dans un autre sens. Le système ordinaire, bien qu’il y manquât certains de ses éléments, ceux qui donnaient au sphex la connaissance de la présence de sa proie, ne se déroule pas moins comme d’habitude. Un certain nombre d’éléments peuvent manquer au système, il n’en subsiste pas moins, autrement dit, une partie considérable du système comprenant les actes du sphex peut être abstraite et exister séparément, mais ce système ne peut se résoudre en éléments qui feront partie d’autres synthèses.

Chez l’enfant l’état de mélange de l’abstrait et du concret est l’habitude. Ces idées et ces tendances se sont formées, pour ainsi dire, par gros morceaux d’expériences, que des expériences suivantes viendront désagréger, mais qui, en attendant, subsistent ensemble. J’en ai cité déjà des exemples, on en trouvera un grand nombre chez tous les observateurs de l’enfance qui se sont multipliés depuis quelques années. M. Preyer remarque que, pendant longtemps, l’enfant en flairant une fleur ou un parfum tient la bouche ouverte ; il pense que c’est là « un signe d’un état intellectuel peu avancé, mais c’est à la vérité une conséquence, un résultat de l’état peu avancé des expériences faites par l’enfant. Comme précédemment l’odeur agréable (du lait) a toujours été accompagnée d’une saveur agréable, l’enfant pense que partout où il y a une odeur agréable, il doit y avoir quelque chose à goûter. La notion complexe de saveur-odeur ne s’était pas encore différenciée, au dix-septième mois, dans les deux notions de saveur et d’odorat[2]. » Autrement dit, il y a insuffisance d’abstraction. La synthèse saveur

  1. Romanes, l’Évolution mentale des animaux, p. 175 de la trad. française.
  2. Preyer, l’Âme de l’enfant.