Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVII, 1889.djvu/56

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odeur donnée immédiatement par l’expérience n’a pas encore été analysée à l’aide d’autres expériences.

Chez l’homme fait, il y a aussi une foule d’abstractions rendues difficiles par l’organisation de tendances très systématisées ; la force de l’habitude en est un exemple bien connu. Beaucoup d’hommes ressemblent au sphex de M. Fabre et je crois bien qu’il y a un peu du sphex dans chacun de nous. Chacun voit et comprend le monde à travers ses propres habitudes et sa structure mentale. J’ai cité ailleurs un grand nombre de faits où l’on voit bien cette cohésion intime de plusieurs sensations, de plusieurs images, de plusieurs idées, de plusieurs mouvements[1]. C’est à un autre point de vue que je les ai examinés, mais il n’est pas bien utile de les reprendre ici, d’autant plus que nous aurons l’occasion d’en voir assez d’exemples en étudiant sommairement les phénomènes de ce genre que présente l’évolution des mythes, des croyances et du langage. Je ne puis me lancer dans une étude approfondie de ces questions. Toutefois il parait intéressant d’examiner l’évolution de la conception de l’âme, depuis les plus primitives jusqu’aux plus abstraites.

Comment se fit-il que les hommes aient distingué l’âme du corps et attribué une âme aux objets inanimés ? Sur le premier point, la lumière paraît faite ; sur le second, qui nous importe moins, il y a doute. L’homme a-t-il fait une sorte d’induction instinctive comme le veut M. Tylor[2], ou, comme le pense M. H. Spencer, l’idée de l’âme des morts a-t-elle été le passage obligé pour en venir à attribuer une âme aux objets inanimés ? Quoi qu’il en soit, il est sûr que ce passage a eu lieu dans les temps primitifs et se perpétue encore chez les sauvages et, à quelque degré, chez un bon nombre de civilisés. Il y a là un phénomène complexe d’abstraction et de concrétion, autrement dit à la fois d’impuissance d’analyser certains phénomènes et d’en synthétiser certains autres, qui rentre bien dans notre sujet et qui me parait offrir un grand intérêt en montrant le caractère mixte et trouble des conceptions d’une humanité déjà vieille et assez civilisée. D’un côté, en effet, par la fausse interprétation de quelques phénomènes (rêves, visions), on sépara l’âme du corps, d’un autre côté on attribua une âme à des objets inanimés et c’est un exemple d’une généralisation mal faite ; enfin on adjoignit, en bien des cas, à l’âme une espèce de corps vague. En somme on en arrivait à supposer un autre individu. Il y a là des exemples de modes primitifs de penser, de séparer et de joindre les phénomènes

  1. Voir août 1888, la Finalité comme propriété des éléments psychiques (Rev. philosophique).
  2. Tylor, la Civilisation primitive.