Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVII, 1889.djvu/66

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phes mêmes qui professent la distinction complète de l’âme et du corps, l’imagination intervient quelquefois encore pour restituer à cette âme ou pour lui adjoindre certains attributs matériels. D’un côté on place bien dans l’âme la cause essentielle de la personnalité, de l’identité ; de l’autre, quand on serre de près la question, on voit que le corps a son rôle et la conception de l’âme paraît se troubler, l’âme pure diminue d’importance, et cette conception amenée à un certain degré d’abstraction est remplacée par une autre,

M. Caro s’en rend bien compte. Par un autre effet de ce rythme que je signalais, il revient à l’idée la plus abstraite de l’âme. Il expose, d’après M. Jules Simon, ce que la philosophie spiritualiste, réduite à elle-même, peut nous apprendre sur la vie future. « Voilà, ajoute-il, les félicités que la philosophie nous permet. Combien tout cela est vague ! Je sais bien qu’en réclamant davantage, je m’expose à de sévères critiques. Si nous reprochons à la philosophie la pauvreté de ses promesses, c’est, nous dira-t-on, que nous ne savons rien penser et rien imaginer sans mettre dans nos conceptions le corps et les instincts du corps. Si ces doctrines purement spiritualistes nous semblent vagues, c’est peut-être parce qu’elles sont spiritualistes ; prenons garde que le besoin de rendre l’idée du ciel plus précise ne soit le désir de le rendre plus matériel. — À qui donc pourtant suffira cette vie future dont la spiritualité raffinée ne parvient pas à dissimuler les perspectives abstraites et mornes ? »

Si j’ai analysé longuement les belles pages d’un philosophe qui fut trop et trop mal attaqué, c’est que j’ai pensé y voir un exemple intéressant d’une forme très atténuée de l’état d’esprit que j’étudie. Nous voyons ainsi l’idée de l’âme se séparer de l’idée du corps, et cependant s’adjoindre une sorte de corps d’une autre espèce ; c’est en somme un être nouveau, une personnalité nouvelle qui se superpose à un organisme existant. Cette nouvelle personnalité dépouille peu à peu ses caractères matériels, mais jusque dans les conceptions les plus abstraites on voit encore de temps en temps apparaître des restes de la conception primitive. Le panthéisme, qui dans ses formes rigoureuses est plus abstrait que le spiritualisme en ce qu’il tient moins à l’identité personnelle, garde cependant encore des traces de matérialité ; il est bien difficile de concevoir la substance absolument dépouillée de formes matérielles et, on a beau la déclarer inconnaissable, on ne se garde pas toujours de laisser pénétrer dans ce concept des traits empruntés à notre expérience des corps. Si l’on analysait à ce point de vue la formule habituelle : « Les phénomènes sont la manifestation de la substance », on trouverait, je crois, que le mot manifestation est emprunté à des phénomènes très con-