Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVII, 1889.djvu/67

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crets et que, en dehors d’eux et appliqué à un prétendu monde transcendant, il ne conserve plus aucun sens précis. Il me semble bien que nous retrouvons encore ici cette sorte de confusion psychique, de métaphore intellectuelle inconsciente dont j’ai donné déjà un certain nombre d’exemples. Il semble que la conception la plus abstraite de l’âme est celle qui en fait un système de lois extraites des phénomènes concrets.

Peut-être serait-il de quelque intérêt ici de faire remarquer que, inversement, la notion synthétique de l’homme, considérée comme comprenant à la fois le corps et l’âme, a de la peine à se constituer, précisément ou en grande partie à cause de ce manque d'abstraction qui retient de part et d’autre dans des complexues insuffisamment cohérents des éléments psychiques qui devraient s’unir ensemble. Si l’abstraction consiste, au sens ordinaire du mot, et pour nous dans une des formes les plus fréquentes, dans la séparation dun attribut d’avec sa substance, inversement la concrétion consiste à joindre à sa substance un attribut qui en aura été séparé, une substance n’étant d’ailleurs pour nous, selon la théorie de M. Taine, qu’un système de qualités. Nous formons des représentations concrètes, des concrétions quand nous prenons connaissance, par exemple, de la dureté ou du goût d’un corps dont nous percevons la couleur et la forme. Le problème soulevé par la nature des phénomènes psychiques demanderait, pour être résolu, que ces phénomènes considérés comme une qualité particulière dune substance fussent joints au reste de la substance, au système de qualités dont il fait naturellement partie. On peut à présent affirmer que ces systèmes de qualités, cette substance est précisément le système nerveux, et, en particulier, les centres nerveux encéphaliques, et plus particulièrement encore la substance grise corticale. La théorie des localisations, les recherches cliniques de Broca, et tout récemment de M. Charcot ont même permis de rattacher certains phénomènes psychiques à des phénomènes physiologiques, se passant en des points très déterminés du cerveau. On rattache ainsi les phénomènes psychiques à une véritable substance, à un ensemble de phénomènes visibles, tactiles, etc., dans le détail desquels on ne peut pas d’ailleurs entrer encore. Mais cette synthèse concrète est évidemment fort gênée par le fait que les phénomènes psychiques adhèrent fortement, dans l’esprit de beaucoup de personnes et d’un grand nombre de philosophes, à une substance d’un autre genre, au reste vidé du double des croyances primitives.

{La suite prochainement.) F. Paulhan.