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bœuf aux vues du physiologiste allemand. En effet, puisque ce principe est, pour tout ce qui fait partie de l’univers, une loi d’acheminement ininterrompu vers la mort, il n’est guère possible de distinguer, comme on l’a fait jusqu’à ce jour entre ce qui n’est pas vivant, ut ce qui, l’ayant été, ne l’est plus. Le mot « d’esprit éteint », que Schelling appliquait à la matière, lui devient applicable, non plus, comme chez le métaphysicien, par l’effet d’une intuition de génie dont les résultats restent toujours contestables, mais par l’effet d’un raisonnement appuyé sur des prémisses empiriques. En effet, si la mort est le terme du transformable, si la quantité de mort va remplissant de plus en plus, chaque jour, l’étendue de notre univers, si « la transformabilité » de la matière s’épuise en se manifestant, si enfin, après chaque transformation, la somme d’éléments stables se trouve augmentée, l’état actuel du monde implique à l’origine un état d’instabilité presque infini. La déduction est rigoureuse. En voici une autre, et cette fois encore M. Delbœuf trouvera dans les théories de M. Preyer un point d’appui solide. Qu’est-ce que la vie, ou du moins quel est le caractère essentiel du vivant ? Ce caractère essentiel ne peut être absolument différenciateur ; s’il l’était, le passage du vivant à l’état de non-vivant impliquerait un anéantissement véritable, et la loi de la conservation de l’énergie, que M. Delbœuf tient pour insuffisante, non pour inexacte, rendrait un tel anéantissement impossible. Au demeurant, ce qui distingue les êtres vivants de ceux qui ne revivront plus désormais, c’est l’instabilité relative de leurs éléments : la matière dite vivante est de la matière instable ; la matière brute est de la matière stable. Or si l’évolution se fait de l’instable au stable, elle va de la vie à la mort, et du moment où quelque chose a commencé d’être, quelque chose a commencé de vivre. Il est à remarquer, d’ailleurs, qu’en dépit des explications auxquelles la faveur du public est acquise, parce que les savants la soutiennent de leur crédit, et malgré ce principe dont l’entrée en notre créance se fait presque d’elle-même, à savoir que l’inférieur a dû frayer la voie au supérieur et, par suite, la précéder dans le temps, il est à remarquer, dis-je, que, pour définir la matière brute, on se contente de lui refuser l’organisation : on sait donc mieux les qualités dont elle manque que celles dont elle se trouve pourvue. Le mot d’inorganique en est la preuve. Il est à remarquer, en second lieu, que Leibnitz dans la philosophie duquel la loi de continuité régit sinon l’évolution des êtres, du moins la série de leurs manifestations successives, n’osait point refuser à ses monades, même aux plus rudimentaires, le don de pouvoir, par l’effet du simple développement de leurs virtualités, franchir l’écart qui donne à