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DAURIAC.la doctrine biologique de m. delbœuf

matière de provenance organique ne renferme rien qu’on ne découvre dans les éléments inorgañiques et qu’il n’y a point — ne l’oublions pas — de matière vivante. Le problème ne saurait donc être éludé, car il est cosmologique plus encore que cosmiogonique. Par malheur, jusqu’ici, nul ne l’a pu résoudre, et ce n’est pas exagérer que de reconnaître à quel point les expédients proposés manquent du minimum nécessaire pour valoir qu’on les discute. Il ne reste par suite que deux partis à prendre : ou renoncer à savoir ce qu’il faut savoir sous peine de renoncer à définir l’être vivant, ou supprimer le problème. Comment le supprimer ?

L’audace de M. Delbœuf, qui va jusqu’à le supprimer, ainsi qu’on le verra bientôt, serait presque sans exemple si déjà le savant dont nous avons parlé, Preyer, ne lui avait tracé la route à suivre. Preyer, en effet — qu’on nous passe la comparaison — saisissant le taureau par les cornes ne pouvant le terrasser, lui imprime une volte-face, et cela suffit à le rendre inoffensif. Au cours de l’évolution des phénomènes cosmiques, vous apercevez la vie qui vous barre le passage et vous rend désormais l’évolution inintelligible : placez la vie bien au delà du point où pour la première fois vous l’avez aperçue, placez-la le plus loin possible, à l’origine même des choses, et le mystère biologique, se confondant avec le mystère métaphysique, aura disparu comme par enchantement. Entre le pourquoi de la vie et le pourquoi de l’être, toute différence s’évanouira : insoucieuse d’obtenir la réponse au second de ces problèmes, votre curiosité ne s’intéressera guère au premier, puisque, après tout, il n’y aura plus deux problèmes, mais un seul. Aussitôt, il est vrai, des objections surgiront en foule, celle-ci entre autres : notre planète fut d’abord incandescente : comment supposer qu’on y ait pu vivre. La supposition de petits corps organiques aptes à vivre, arrivant soit isolément, soit transportés par des météorites d’un corps céleste à l’autre, est sans fondement : « Si on ne peut la réfuter comme inadmissible, on doit la tenir pour insuffisante et insuffisamment établie[1]. » Quant à la génération spontanée, l’expérience et la logique la contredisent ; enfin la création de la vie, qui, en un certain sens, serait une création ex nihilo, contredit les lois de la conservation de la force et de la conservation de la matière, ne peut être sérieusement acceptée. Donc « la vie n’est point née sur la terre privée de vie ». Ce qu’il faut plutôt rechercher tout d’abord, ajoute Preyer, c’est l’origine de ce qui est mort.

Le principe de la fixation de la force entraîne l’adhésion de M. Del-

  1. Preyer, loc. cit., p. 120.