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la douleur chez les hystériques

rant a peu d’intensité. Il y a là une grande analogie avec l’effet des excitations mécaniques ; la seule différence est que la douleur produite par nos excitations a lieu presque instantanément, tandis que celle que produit l’électrisation n’a lieu qu’au bout de quelques minutes. C’est ce que nous avons pu constater chez plusieurs sujets.

La dysalgésie peut exister isolément dans une région sensible, ou dans une région anesthésique, ou dans une région totalement analgésique. C’est dire que les causes de la dysalgésie ne sont pas les mêmes que celles de la douleur normale. C’est la forme de l’excitation beaucoup plus que son intensité qui provoque le phénomène. Ainsi, chez Lavr…, l’anesthésie à la brûlure est si complète dans le bras gauche que si l’on met à son insu une allumette enflammée entre ses doigts (côté anesthésique) au moment où la flamme vient en contact avec sa peau, la malade ne sent absolument rien. Au contraire ; si on fait passer un courant faradique peu intense dans son bras anesthésique, et qu’en même temps on pince légèrement la peau au voisinage des tampons, elle ressent immédiatement une douleur très vive. Un individu normal souffrirait beaucoup de la première expérience, et n’éprouverait aucune douleur pendant la seconde. De même, CI… ne ressent rien quand on pique à plusieurs reprises sa main anesthésique avec une épingle, petite épreuve qui est très pénible pour un individu normal, et au contraire elle souffre horriblement si on lui applique une pièce d’argent sur la main insensible. On peut donc dire que l’excitant qui éveille ces réactions douloureuses agit moins par son intensité que par sa forme. Sans doute, lorsqu’on a imaginé une combinaison d’excitations qui produisent de la douleur, comme l’association d’une piqûre et d’un courant faradique pour Lavr…, si on augmente l’intensité du courant, on augmente par là même la douleur ; l’intensité a donc de l’importance, mais elle est subordonnée à cette autre condition de la forme, car un courant induit d’intensité égale à 0 ne produit rien, tandis qu’un courant d’intensité égal à 25, associé à une autre excitation mécanique, est très douloureux[1].

En quoi consiste donc cette forme de l’excitation, qui paraît avoir tant d’importance ? Dans le cas où on se sert du courant électrique ou d’un métal, il est à peu près impossible de répondre à cette question, car nous ne pouvons pas analyser l’excitation ressentie par le sujet. Il n’en est peut-être pas de même dans nos expériences personnelles. Nous avons vu que le trait commun de toutes ces expériences consiste dans la combinaison de deux excitations hétérogènes ; par exemple, on fait une piqûre simultanée au bras sensible et au bras anesthésique ; il se produit d’une part une sensation tactile consciente, indolore — et d’autre part une sensation tactile inconsciente ; donc deux sensations

  1. Dans l’appareil de Dubois-Revmond dont nous nous sommes servi, la graduation est telle que le 0 correspond à la distance minimum des deux bobines, et par suite à l’intensité maximum du courant induit. C’est du reste la graduation ordinaire.