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duire vraisemblablement une sensation de contact qui vient compliquer la sensation de douleur ; mais, dans tous les cas où les deux excitations appartiennent à une région anesthésique, la douleur est le seul phénomène qui se produise.

La sensation douloureuse, quand elle est pure de tout autre élément sensoriel, c’est-à-dire quand elle se produit dans une région anesthésique, est presque toujours localisée d’une façon très vague et très confuse ; le sujet qui se plaint vivement de cette douleur est incapable d’indiquer avec précision le point où l’excitation a eu lieu. Ce défaut de localisation est important au point de vue psychologique ; il montre en effet que la douleur est un état de conscience diffus, sans contours nets, et que par conséquent on ne peut pas le localiser avec la précision qu’on apporte à la perception d’une sensation tactile.

J’ai fait sur ce point un très grand nombre d’expériences. Je procédais en portant une excitation quelconque sur une région sensible, puis je renouvelais cette même excitation en la rendant douloureuse par l’excitation simultanée de la région anesthésique. J’ai pu ainsi établir un parallèle entre la sensation tactile indifférente et la sensation tactile douloureuse. La douleur émousse la perception de la forme, du nombre et de la distance ; par exemple, quand il y a douleur, la sensation de la pointe d’une aiguille ne peut plus être distinguée de la sensation de la tête ; les deux pointes de compas se confondent à une distance où le sujet les distinguerait, si les deux sensations n’étaient pas douloureuses ; la localisation de la sensation devient moins précise ; enfin la surface des objets appliqués sur la peau paraît agrandie. Cette curieuse illusion est comparable à l’illusion d’optique, produite par deux carrés égaux, l’un noir et l’autre blanc ; le blanc paraît toujours plus grand que le noir.

Afin d’enregistrer automatiquement la réaction douloureuse j’ai placé un tambour myographique sur les masses musculaires de la région explorée. Dès que la douleur se produit, elle est accompagnée de mouvements brusques dans la région en expérience ; ce sont des mouvements d’expression qui ne me paraissent rien présenter de bien particulier, ils ont seulement l’avantage de signaler la production de la douleur sans qu’on soit obligé d’interroger le sujet sur ce qu’il ressent.

J’ai pu constater à plusieurs reprises que les phénomènes dysalgésiques produits par les procédés que je viens de décrire sont suivis d’un retour temporaire de la sensibilité dans les régions anesthésiques où l’on a fait l’excitation mécanique. Si l’excitation a été maintenue pendant environ une minute, la sensibilité acquise dure en général une vingtaine de secondes, puis elle s’efface. Il est intéressant de noter que dans les expériences où on ramène la sensibilité d’une région anesthésique au moyen de courants électriques, le premier effet qui se produit sur la sensibilité, et qui en indique le retour, est une sensation croissante de douleur, devenant bientôt intolérable, alors même que le cou-