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une nouvelle laura bridgman

« Elle ne pouvait plus entendre le chant des oiseaux et le doux babil de sa mère aimante ; elle ne pouvait plus voir la beauté des fleurs et le visage souriant des gens de son entourage. » Voici maintenant comme il célèbre sa délivrance : « Le petit prisonnier fut triomphalement délivré et devint tout d’un coup citoyen du monde. » Après cela, lorsqu’il déclare gravement et simplement : « Il n’y a pas la moindre exagération dans tout ce qui a été dit au sujet d’Hélène, » on est tenté de n’en rien croire, tant l’assertion paraît extraordinaire. Mais toute méfiance disparaît si l’on prend le rapport simple et lumineux de miss Sullivan. Nous en détachons les points les plus importants, et l’on verra que l’exaltation de M. Anagnos peut en une certaine mesure se justifier.

Un premier rapport, l’an dernier, avait donné un résumé rapide des progrès d’Hélène Keller depuis le 2 mars jusqu’au 1er octobre 1887 ; celui-ci le continue et nous conduit jusqu’au 1er octobre 1888.

Pendant toute l’année dernière, Hélène a joui d’une santé parfaite ; elle est devenue grande et forte pour son âge. L’examen de ses yeux et de ses oreilles par des spécialistes autorisés a démontré d’une façon péremptoire qu’elle est incapable d’éprouver la moindre sensation de lumière ou de son. Les autres sens ont fait des progrès visibles, et tout d’abord le goût et l’odorat. On ne peut dire au juste en quelle mesure ces deux sens servent à Hélène comme moyens d’information pour connaître les qualités physiques des corps. Toutefois il paraît probable que pour elle chaque objet à sa marque olfactive. « En entrant dans une serre, sa physionomie devient radieuse, et, guidée seulement par l’odorat, elle peut dire le nom des fleurs qui lui sont familières. » Elle possède à un haut degré la mémoire des odeurs, qu’elle imagine avec une vivacité remarquable. « Souvent le parfum d’une fleur ou d’un fruit suffit pour lui rappeler quelque heureux événement de sa vie domestique. » Ce sens qui occupe assez peu de place dans l’existence des voyants s’est, par une sorte de balancement, affiné chez Hélène.

Cette remarque s’applique mieux encore au toucher qui est devenu dune acuité et d’une délicatesse tout à fait extraordinaires. Non seulement elle est capable de reconnaître ses amis par le simple attouchement de leurs mains ou de leurs vêtements, mais encore elle découvre de la même manière l’état d’esprit des personnes qui l’entourent, ayant appris à associer certains mouvements musculaires à l’idée de joie, de chagrin ou de tristesse. À cet égard le petit fait suivant rapporté par miss Sullivan est très instructif :

C’était à Cincinnati. Plusieurs médecins « essayaient de déterminer d’une façon positive si oui ou non Hélène pouvait percevoir les sons.