Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXVIII, 1889.djvu/188

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
178
revue philosophique

Toutes les personnes présentes furent très étonnées de voir qu’elle distinguait non seulement un coup de sifflet, mais aussi le moindre changement de ton dans la voix. Elle tournait la tête, souriait, se comportait en un mot comme si elle avait entendu tout ce qui se disait. Je me tenais en ce moment auprès d’elle, ayant ses mains dans les miennes. Pensant que, selon toutes probabilités, elle recevait de moi ses impressions, je plaçai ses mains sur la table et me retirai à l’autre extrémité de la chambre. Les médecins reprirent alors leurs expériences, mais le résultat ne fut plus du tout le même. Hélène demeurait immobile au milieu d’eux, sans montrer par le moindre signe qu’elle comprenait que l’on continuait. Sur ma prière, un de ces messieurs prit sa main et l’on recommença. Cette fois sa contenance se modifiait lorsqu’on lui adressait la parole, mais ne présentait pas un éclat de tous les traits comme lorsque je tenais moi-même ses mains. »

Voici un autre fait plus curieux encore parce qu’il suppose une série de raisonnements et d’inductions plus complexes : « Pendant que nous étions à Brewster, Hélène nous accompagna, mon amie et moi, au cimetière. Elle examinait les tombes l’une après l’autre et paraissait heureuse lorsqu’elle avait réussi à déchiffrer un nom… Son attention ayant été attiré par une pierre qui portait en relief le nom de Florence, elle se laissa glisser à terre comme si elle regardait quelque chose, puis tournant vers moi un visage altéré, elle me demanda : « Où est la pauvre petite Florence ? » Comme j’esquivais la question, elle s’adressa à mon amie : « L’avez-vous beaucoup pleurée, cette pauvre petite Florence ? Je pense qu’elle est tout à fait morte. Qu’est-ce qui l’a mise dans le grand trou ? » Florence était la fille de mon amie ; mais Hélène l’ignorait, et ne savait même pas que mon amie eût eu une fille. À notre retour à la maison, elle courut au réduit où étaient enfermés ses jouets, prit une petite voiture et une couchette qu’on lui avait données pour mettre ses poupées et les traînant vers mon amie, elle lui dit : « Ce sont celles de la pauvre petite Florence ! » C’était parfaitement exact, bien que nous ne puissions comprendre comment elle l’avait deviné. » Les émotions même les plus légères sont de la sorte ressenties et répercutées par elle avec une grande force. C’est ainsi que « la première fois qu’elle entra dans un cimetière, ses yeux s’emplirent de larmes ». Pourtant elle ne savait absolument rien de la mort ; mais la main de son professeur s’était involontairement contractée d’une façon particulière sous l’influence des idées tristes que suggère la vue des tombeaux, et ces mouvements, dont miss Sullivan ne s’était peut-être pas aperçue, avaient suffi, interprétés par Hélène, pour