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une nouvelle laura bridgman

leçons d’arithmétique qui la passionnaient trop et la fatiguaient.

Elle est fort bien douée du côté de l’imagination. Un jour elle reconnut immédiatement un singe empaillé ; cependant elle ne connaissait ces animaux que par les descriptions, minutieuses il est vrai, qu’on lui en avait faites. Une autre fois, rapporte son professeur, « j’essayai de lui peindre l’aspect d’un chameau, mais comme on ne nous permit pas de toucher à l’animal, je craignais qu’elle ne se fit une idée peu exacte de sa forme. Quelques jours après, cependant, comme j’entendais du bruit dans la salle d’étude, j’accourus et je trouvai Hélène à quatre pattes, avec un oreiller sur le dos figurant une double éminence ; entre les deux bosses elle avait placé sa poupée, et se promenait gravement. Je lui demandais ce qu’elle faisait là : « Ah ! me dit-elle, je suis un bien amusant chameau. »

Chose curieuse, au rebours de ce qui arrive presque toujours chez les aveugles, « elle apprécie assez mal les distances et les rapports de position entre les objets. Je l’ai vue souvent faire plusieurs fois le tour d’une chambre à la recherche d’un objet qu’elle avait posé quelques minutes avant sur une chaise ou sur une table. »

Cette aptitude se trouve au contraire développée à un rare degré chez un autre petite sourde-aveugle, Edith M. Thomas, récemment entrée à l’Asile de Boston, et à qui le Rapport consacre quelques pages. Edith n’a d’ailleurs rien de commun avec Hélène que l’âge et l’infirmité ; le reste, caractère et développement mental, diffèrent absolument. En raison de ces divergences, la comparaison serait instructive. Nous ne le ferons pas aujourd’hui et nous attendrons le prochain rapport qui nous apportera sans aucun doute les éclaircissements attendus. Nous ne raconterons pas non plus tous les incidents du voyage d’Hélène, sa visite au président Cleveland et au professeur Graham Bell, son séjour au bord de la mer, puis au Kindergarten de Boston, etc. : cela serait inutile. Nous bornons ici cette analyse. Nous voulions indiquer simplement les points qui touchent d’une manière directe à la psychologie. Ce que nous avons rapporté suffit pour montrer l’intérêt des problèmes que l’histoire d’Hélène A. Keller soulève, et qu’une observation prolongée et plus minutieuse pourra résoudre.

L. Bélugou.