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connue, même par les plus instruits des nôtres et M. Séailles la connaît bien.

L. D.

G. von Gizycki. — Moralphilosophie, gemeinverstandlich dargestellt. (La philosophie morale mise à la portée de tous.) Leipzig, W. Friedrich, 1 vol.  in-8o, 546 pp.

Le nom de M. de Gizycki est déjà familier aux lecteurs de cette revue. Ils le connaissent pour un des plus éminents défenseurs, parmi les compatriotes mêmes de Kant, de la morale empirique. Les idées exposées dans cet ouvrage ne sont pas non plus entièrement nouvelles. Elles forment la base des Grundzüge der Moral du même auteur, et quelques-unes des plus importantes se trouvent déjà indiquées dans ses ouvrages sur l’Utilitarisme (voy. Revue phil., juillet 1885, t.  XX, p. 97) et sur les Conséquences de l’évolutionnisme (voy. Revue phil., sept. 1878, t.  VI, p. 310).

Ce qui caractérise la nouvelle œuvre de M. de G. c’est qu’elle ne s’adresse pas aux seuls philosophes de profession, mais à une catégorie beaucoup plus étendue de lecteurs. Par ses allures, en effet, comme par son contenu, c’est presque un livre de propagande. M. de G. qu’on sent animé d’une très vivante conviction, semble avoir pris à cœur de travailler à remplacer par des principes moraux concrets, dégagés de toute métaphysique et de tout dogme théologique, des conceptions suivant lui surannées et caduques plus propres à compromettre la morale qu’à la garantir. Franchement libre penseur et franchement empiriste, il prend vigoureusement en main la cause d’une morale purement humaine et toute positive. Très au courant du remarquable mouvement américain et anglais des Sociétés de culture morale, familier avec les patrons de cette œuvre de moralisation indépendante et laïque, avec les F. Adler, les Moncure Conway, les Salter, les Stanton Coit qu’il cite abondamment, on sent qu’il a gardé de sa fréquentation avec leurs écrits quelque chose de leur zèle de prédicateurs et de réformateurs.

De là nécessairement un double caractère du livre de M. de G. : très personnel par l’accent et la conviction agissante, il l’est beaucoup moins par l’originalité du contenu, que l’auteur avoue d’ailleurs avec une parfaite modestie n’avoir point cherchée. Il aspire plus à convaincre qu’à piquer la curiosité par des théories nouvelles. Il écarte volontairement la critique historique des systèmes, les polémiques d’un caractère purement spéculatif[1]. Mais s’il rejette ainsi, avec un louable désintéressement, toute apparence d’érudition, ce n’est pas faute d’avoir à sa disposition les connaissances les plus variées et les lectures les

  1. C’est ainsi que l’étude de la théorie kantienne de la liberté est rejetée dans un appendice. On remarquera aussi que M. de G., fidèle à cette méthode, s’abstient dans bien des cas de nommer les représentants de certaines théories qu’il discute.