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analyses. — janet et séailles. Histoire de la philosophie.

Paul Janet et Gabriel Séailles. Histoire de la philosophie. — Les Problèmes et les Écoles. — M. Janet a eu l’idée d’écrire l’histoire de la philosophie en racontant non plus l’évolution des doctrines et des écoles, mais celle des problèmes. Il fait remarquer dans sa préface que cette conception est nouvelle et qu’elle lui est personnelle. Nous ne pouvons la discuter en passant : elle vaut toutefois qu’on la discute, car, encore que chaque philosophe prenne dans chacune des questions importantes l’attitude la plus conforme à sa nature, à ses habitudes d’esprit, à ses croyances ou à ses « incroyances », il ne peut négliger les solutions de ses prédécesseurs. Quelque sympathie que l’on éprouve, par exemple, pour la doctrine platonicienne des Idées, un philosophe né de nos jours ne pourra platoniser comme il l’eût fait né avant Aristote : de même, si cartésien que l’on soit ou que l’on se donne, il est bien difficile de ne tenir aucun compte de Leibnitz ou de Kant et de ne pas substituer au cartésianisme, tel qu’il fut en des temps voisins de sa naissance, le cartésianisme tel qu’il serait si Descartes avait écrit deux cents ans plus tard. Personne ne s’avisera non plus de croire, comme il semble que Platon y ait cru, aux idées séparées des choses, et, si l’on croit à la réalité de l’âme humaine, ne s’avisera plus de refuser l’âme aux bêtes : personne non plus, s’il croit à la distinction originelle des espèces, ne s’entêtera à les tenir pour invariables et réfractaires à toute influence du milieu. Les grands hommes convertissent tout le monde, y compris leurs adversaires ; toute concession n’implique-t-elle pas une conversion ? Donc, il n’y a pas à dire, les questions et les problèmes évoluent, et, s’il est une façon de les poser et de les résoudre propre à telle ou telle école, il en est une également propre à telle ou telle époque : pour trouver un matérialiste façon d’Holbach il faudrait s’adresser aux vieux médecins de campagne et encore on ne trouverait pas facilement.

L’idée de M. Janet est donc, en grande partie, incontestable. Il a prié M. Séailles d’en réaliser la plus grande partie et l’on ne saurait trop louer M. Séailles du soin, de l’exactitude d’information, et surtout de l’intelligence philosophique qu’il a mise au service de cette lourde tache. L’intelligence des doctrines qui fait le bon historien est une qualité dont la possession est rare ; les inexactitudes, quelquefois même les contresens, sont moins faciles d’éviter qu’on ne pense. Autant qu’il nous a été donné d’en juger, le livre sous ce rapport est à peu près irréprochable. Il a 1084 pages : c’est beaucoup quand il faut non seulement tout lire, mais encore tout étudier, et le livre est écrit pour des étudiants. Mais il embrasse toute l’histoire des progrès de la pensée humaine depuis Thalès jusqu’à M. Ravaisson : pour n’écrire sur ce sujet que 1084 pages les auteurs ont dû nécessairement se borner. Dans la partie rédigée par M. Janet nous signalons tout ce qui trait à la méthode inductive. Dans la partie rédigée par M. Séailles, nous recommandons l’Histoire du problème des Idées générales : elle est peu