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délimité, que les parties qui la composent soient clairement et nettement distinguées, que chacune d’elles y ait sa place marquée, que ses rapports avec les autres soient reconnus et constatés, ce qui fait de l’ensemble un véritable système. Autrement, tout ce qui s’élabore chez elle de plus exact et de plus positif, non seulement ne peut s’appeler de la philosophie, mais n’est pas même de la science. Une science n’est pas un amas de matériaux épars, plus ou moins laborieusement amassés ou même habilement taillés et façonnés. Ce nom ne lui convient qu’autant que ceux-ci ont été réunis et coordonnés, qu’on est parvenu à faire de ces faits la théorie, à l’organiser elle-même dans son ensemble et toutes ses parties.

Nulle part ne s’est manifesté plus clairement ce besoin d’une forme systématique et par là vraiment scientifique que dans cette partie de la science du beau, le plus généralement goûtée et cultivée : la théorie des beaux-arts. Quiconque n’est pas resté étranger au développement historique de cette branche de la philosophie de l’art, ne peut méconnaître le progrès qui s’est accompli dans la classification et la systématisation des beaux-arts[1].

Il n’est guère, en ce siècle, d’esthéticien digne de ce nom, qui n’ait compris l’importance de ce problème, n’en ait aperçu la portée et les conséquences. On voit que ce n’est pas seulement d’une division commode qu’il s’agit, mais d’un vrai système des arts. Chaque art particulier doit y avoir sa place et sa fonction distincte. Lié aux autres arts par un rapport de solidarité et de réciprocité, il doit y conserver son existence propre et indépendante ; de sorte que de toutes les parties se forme un tout régulier, à la fois un et multiple, où chacune d’elles, concourant au même but, garde néanmoins sa liberté dans ses limites respectives[2].

Le principe qui, malgré la divergence des opinions, a prévalu comme devant servir de base à ce système, s’énonce de diverses façons. Dans le langage ordinaire, c’est le degré d’expression dont chaque art est capable, eu égard à la nature et l’étendue ou à la puissance de ses moyens de représentation. Une formule plus philosophique est celle de l’idéalisation progressive qui se remarque entre les arts quand on les compare, et qui est tirée de l’essence même de l’art comme ayant pour objet l’idéal. Par là est marquée la prédominance croissante de l’idée sur la forme qui, dans chaque

  1. Voir les deux articles que nous avons publiés sur ce sujet dans la Revue philosophique, août et septembre 1883.
  2. Nous ne connaissons qu’un seul esthéticien, Lotze, qui, dans son Histoire de l’esthétique allemande, p. 458, ait mis en doute l’utilité de ce système. Il est à regretter que sa méthode d’exposition ait eu besoin de cette excuse.