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BÉNARD.la mimique dans le système des beaux-arts

reflètent comme dans un miroir parlant. Il y a une sorte d’harmonie préétablie en vertu de laquelle tout ce qui s’élabore au sein de l’être spirituel retentit à l’extérieur, s’y incarne dans des signes qui en sont les symboles eux-mêmes vivants et animés. Il y a là une analogie mystérieuse, qui est une des énigmes les plus difficiles à expliquer à l’observateur à la fois psychologue et physiologiste, adonné à l’étude des rapports du physique et du moral.

Nous n’avons pas, je le répète, à résoudre cette énigme. Le fait seul est, pour nous, à signaler. Il semble que l’âme cherche à percer son enveloppe matérielle pour se rendre présente et visible dans cette manifestation d’elle-même, extérieure et sensible. Chacun de ses états, de ses actes, de ses pensées, y prend comme un visage et un corps, omnis enim motus animi suum quemdam habet vultum et sonum et gestum, dit Cicéron, qui, comme orateur, avait fait de cette langue (le langage d’action) une étude particulière et a laissé, sur son emploi, d’excellents préceptes, aujourd’hui encore utiles à suivre et à méditer. L’action, il l’appelle « l’éloquence du corps » : est enim aclio quasi corporis eloquentia (De Orat., XVII). Il en fait, après Démosthène, le premier ou le plus puissant moyen de l’art oratoire. (Ibid.)

Telle est la mimique en général. Si l’on vient à l’analyser, on voit que, même en repos, le corps humain dans sa forme totale est déjà doué d’une haute expression symbolique. La statuaire et la peinture savent s’en servir et l’approprier à leurs œuvres. De plus, chacune des parties du corps, la tête, le visage, les membres, les bras et les mains ont leur mode d’expression particulière. Le visage de l’homme surtout est l’image de l’âme, imago animi vultus. Chaque portion du visage, le front, le nez, la bouche, le menton, les joues, expriment à leur manière. L’œil, où se montrent, comme dit Platon (Timée), le feu et la lumière de l’esprit, est avec raison appelé le miroir de l’âme, animi index et speculum. (Cic., ibid.)

Si déjà, dans son immobilité, le corps a cette vertu expressive ou significative, combien les effets n’en deviennent-ils pas plus intenses et plus variés, plus clairs et plus déterminés lorsque la machine humaine vient à se mouvoir.

L’âme a-t-elle besoin de transmettre au dehors ce qu’elle éprouve comme on dit au dedans, de manifester ses émotions, ses sentiments, sa pensée, sa volonté ; est-elle sollicitée par quelque passion, soudain le corps entier se meut et s’ébranle. Comme un instrument docile à la main qui le presse, il vibre à l’unisson de tous les actes les plus intimes et les plus invisibles de la force sensible et intelligente