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à chaque instant dans le monde réel, non seulement ses moyens sont vite épuisés, mais le spectacle lui-même bientôt nous ennuie ou très peu nous intéresse. Nous en sommes bientôt rassasiés et il nous laisse indifférents.

C’est par l’expression sans doute de la vie humaine, mais transformée et idéalisée, que la mimique, comme tout autre art, devient vraiment un art. Celui qui imite ou représente doit mettre du sien dans ce qu’il imite ou reproduit ; l’activité créatrice de son esprit doit s’y révéler et y apparaître. L’art véritable transforme tout ce qu’il touche ; il dépasse la réalité rien que par la manière dont il la traduit et l’interprète ; il la marque elle-même de son empreinte ou d’un cachet supérieur.

Ainsi le beau, la représentation du beau, d’une beauté idéale (et nous entendons aussi avec le beau tout ce qui s’y rattache, le gracieux, le laid et le comique, dans leurs formes les plus variées), conformément aux règles du beau ou de l’art, voilà ce que la mimique elle-même doit prendre pour objet, nous mettre sous les yeux par les moyens qui lui sont propres. Autrement le sanctuaire de l’art lui est fermé. Il lui est défendu d’en franchir le seuil. Elle ne sera pas même placée au premier degré, au plus bas de l’échelle.

La conséquence est celle-ci : la mimique, pour être un art véritable, doit donner aux signes naturels qu’elle emploie une plus haute signification. Formes, mouvements, physionomie, gestes, auront une expression plus vraie que l’expression du réel ; ils seront capables de représenter ou de rendre sensible une idée, et cela conformément à la nature et aux règles du beau, qui sont la mesure et l’harmonie. La pensée et le sentiment y seront plus manifestes et plus visibles qu’ils n’apparaissent dans le réel. Bref la définition de la mimique sera celle-ci déjà donnée par un auteur ancien : l’art du beau dans la voix et les mouvements, ars decoris in vocibus et in motibus.

Dès lors, en effet, tous ces signes énumérés plus haut, ou matériaux de cet art, forme, maintien, airs du visage et attitudes du corps, traits de la physionomie, regards, gestes, etc., prennent une expression plus vive, plus intense, plus claire, ils sont mieux réglés, plus harmonieux, en un mot plus propres à représenter le beau en lui-même et pour lui-même, de même aussi tout ce qui sans être le beau s’y rattache et en subit la loi, le sublime, le comique, le grotesque, le terrible et le pathétique, etc. La mimique pourra exprimer et représenter tous les sentiments de l’âme, les mouvements de la passion, jusqu’à un certain point aussi les idées. Elle sera capable de représenter une action dans toutes ses phases et ses péripéties, son nœud,